Il y a longtemps, très longtemps, Marcia a quitté son village montagnard. Elle y revient des années plus tard, pour l’enterrement d’Eddy, qui avait épousé Florence, son amie d’enfance. La Montagne entre nous (Sarbacane), de Marcel Shorjian (scénario) et Jeanne Sterkers (dessin), pose la délicate question de l’amour impossible, où les non-dits se disputent aux regrets.
Le dessin est soigné, les couleurs sont douces et fuyantes, les contours sont flous. Cela donne à la BD le sentiment de flotter entre deux époques, entre ville et campagne. Au milieu du gué se dresse Marcia. Élancée, le visage mince et les cheveux blancs tirés en arrière, elle porte le poids de la tristesse et de la fatalité quand elle débarque, sans prévenir, dans ce village qui l’a vu grandir.

La stupeur est générale. Seule sa mère, malade et dont le regard reste perdu dans le vide, ne manifeste aucune surprise. Un paquet d’années pourtant qu’elle n’a pas revu sa fille. Il est trop tard sans doute. Pour autant, est-il trop tard également pour renouer le contact avec Florence ? Toute la bande-dessinée se construit autour de cette question, lancinante et douloureuse.

Pour nous aider à comprendre, les flash-backs sont nombreux. Leur succession permet à Marcel Shorjian et Jeanne Sterkers de procéder par petites touches. Nous sommes ainsi les témoins du drame qui s’est joué par le passé. Dès lors, les retrouvailles entre les deux femmes ne vont pas aller de soi. C’est qu’on ne peut balayer d’un revers de main quelques décennies d’une vie bien rangée, quand bien même les rêves d’évasion continuent de hanter les pensées les plus folles.

La distance, les conventions, les non-dits… Imposante, la Montagne n’est pas la seule à avoir, dans cette bande-dessinée, le mauvais rôle : celui qui sépare, qui éloigne, qui fissure et exacerbe, parfois, la violence. Elle donne pourtant un joli titre à l’ouvrage, dont la lecture se révèle plaisante car pleine de tendresse pour les personnages attachants qu’elle révèle.