S’il y a bien deux albums étroitement liés dans la discographie des Beatles, ce sont bien Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band et Magical Mystery Tour. Deux albums concepts avant l’heure qui n’en seront finalement pas. Enregistrés presque en parallèle, en tout cas dans les premières séances, et si l’on considère le format que l’on connaît actuellement, à savoir deux LP, ces deux albums vont probablement marquer un tournant gigantesque dans la musique des Beatles qui abandonneront le psychédélisme dès l’année suivante pour revenir à des racines plus rock et blues, tout en gardant une sophistication propre.
[mks_col]
[/mks_col]
De la démesure de Sgt Pepper’s…
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#C21421″]P[/mks_dropcap]our comprendre la genèse de ces deux disques, il faut bien remettre les choses dans leur contexte. Décision collégiale ayant été prise par le groupe de ne plus se produire sur scène, chose particulièrement rare à l’époque, sachant que les tournées des Fab Four brassaient un nombre de dollars incroyable. Si leur manager tenta bien un temps de les dissuader, rien ne les fit dévier de leur idée. En effet, McCartney et Lennon en tête avaient bien saisi plusieurs choses à propos des concerts qu’ils donnaient. Tout d’abord, les hurlements du public couvraient la majorité de la musique au point qu’ils leur arrivaient fréquemment de ne pas s’entendre jouer. Par ailleurs, un autre problème survint, et ce, dès « Revolver », leur musique devenait tellement complexe, dans sa production, qu’elle était, à l’époque, impossible à reproduire sur scène. En effet, les collages de bandes, et autres solo renversés ne pouvaient tout simplement pas être joués. Après quelques semaines de repos, ils arrivèrent donc en studio avec un luxe qu’ils n’avaient jamais eu depuis le début de leur succès : du temps.
Si le groupe pouvait disposer des studios d’Abbey Road comme bon leur semblait, spécificité réservée au Beatles, il leur fallait, auparavant, faire entrer les séances au milieu des tournées. Les données devenaient donc différentes. Et ils n’allaient pas se priver de jouir pleinement de ce luxe inédit et surtout exclusif. Ils étaient devenus en quelques années, les patrons à qui l’on ne pouvait plus rien refuser tant les ventes étaient systématiquement colossales. C’était en tout cas ce que George Martin, leur producteur, consentait à faire, et joua plus d’une fois les tampons entre les quatre garçons et les gros pontes d’EMI.
[mks_pullquote align= »left » width= »250″ size= »20″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Ainsi donc débute l’histoire de Sgt Pepper’s : sur l’une des plus belles compositions de Lennon qui ne figure même pas sur l’album.[/mks_pullquote]
Cinq mois à peine après les sessions de Revolver, ils pointèrent donc le bout de leur moustache nouvellement arrivée, et leurs fringues bariolées d’un Swinging London en plein essor. Lennon avait perdu du poids, de retour du tournage de l’anecdotique How I Won The War de Richard Lester, quant aux autres, ils avaient pris quelques semaines de repos, même si McCartney en avait profité pour orchestrer se toute première B.O.. Pourtant, les tensions naissantes commencèrent dès les retrouvailles. La fameuse remarque de Lennon sur la popularité des Beatles face à Jésus était encore mal passée, certaines révélations sur la consommation de stupéfiants de Macca aussi, quant à l’incident des Malouines, il semblait aussi particulièrement difficile à avaler. Bref, ce soir là, le débat et les piques allaient bon train, et Georges Martin coupa net le propos : « Bon, qu’est-ce que vous avez de nouveau ? ».
Macca tenta de se lancer, aussitôt coupé par un Lennon très sûr de lui ! « Moi, j’en ai une bonne ! » Comme il était de coutume de commencer les sessions par une chanson de Lennon, McCartney haussa les épaules et se tut. Lennon empoigna une guitare et joua Strawberry Fields Forever. Stupeur. « C’est magnifique » lança un Macca incrédule. L’osmose prit alors de suite et tout le monde s’accorda pour dire qu’ils devaient démarrer sur celle-ci. Ainsi donc débute l’histoire de Sgt Pepper’s : sur l’une des plus belles compositions de Lennon qui ne figure même pas sur l’album.
C’est Lennon qui apporta, tout fier, un nouvel engin : Le Mellotron. A l’époque, cet instrument révolutionnaire était encore très marginal. Chaque touche actionnait une bande sur laquelle était enregistré un véritable instrument, jouant ainsi la note équivalente. Flûtes, cordes, chœurs, pour ainsi dire, les prémices des futurs claviers. Pour l’anecdote, le son de guitare flamenco utilisé plus tard sur une intro durant les sessions du White Album est issu de cet instrument. C’est Macca qui va d’ailleurs bien vite en découvrir le potentiel et composer l’intro de Strawberry Fields Forever. Il faudra des semaines d’enregistrement pour que Lennon et McCartney soient entièrement satisfaits. Pire encore, à l’époque, les membres partaient des studios avec des acétates, pour écouter le morceau du moment chez eux. Lennon, alors que tout semblait bouclé, revint le lendemain en disant, après plusieurs heures sur un nouveau mixage et une nouvelle version, qu’il préférait la seconde version, pour la seconde partie. Obligeant ainsi Geoff Emerick, l’ingénieur du son, pourtant rompu à l’exercice de funambule avec les quatre gaillards, à découper la bande, à en passer une un peu moins rapidement afin que les tonalités soient respectées.
Après trois séances à travailler sur cette seule chanson (rappelons que le premier album fut enregistré en 16 heures, montre en main), ils s’attaquèrent à When I’m Sixty-Four. Vieille de plusieurs années, cette chanson de Macca, déjà jouée à l’époque d’Hambourg, va être comme souvent, l’objet de nombreuses discussions concernant les arrangements avec George Martin. C’est d’ailleurs Martin qui suggéra l’adjonction de clarinettes. Les bandes furent accélérées, à la demande de McCartney, afin que sa voix semble plus jeune. La chanson sera bouclée extrêmement rapidement, si l’on compare à Strawberry Fields Forever. Les textes de Lennon devenaient à cette époque de plus en plus cryptés, sous l’action de la consommation assidue de drogues en tout genre. L’acide coulait à flots, devançant de quelques mois l’héroïne dont il finira par devenir accroc. Il collait ainsi des bribes de mots qui se mariaient bien, sans forcément chercher à donner un sens global à ses textes, là où McCartney et Harrison avaient souvent pour habitude de puiser dans leur quotidien ou leurs souvenirs.
Au bout de trois semaines d’enregistrement, deux chansons étaient en boîte. Dans les couloirs du studio, les dents commençaient sérieusement à grincer, mais Martin et Emerick regardaient tout le monde un peu narquois, sachant pertinemment qu’ils œuvraient pour un disque qui ferait date. Il faudra trois semaines supplémentaires pour accoucher de Penny Lane. Là encore, les techniques d’enregistrement évoluaient et Emerick suggéra d’enregistrer instrument par instrument, afin qu’aucune résonance ne vienne en perturber l’harmonie. Néanmoins, les arrangements prirent un temps incroyable à être mis en place. Autre problème et pas des moindres : à l’époque, les enregistrements se faisaient sur 4 pistes. Or, il était évident que les pistes se démultipliaient de plus en plus, obligeant ainsi à établir un pré-mixe à chaque fois que de nouvelles pistes étaient nécessaires, ce qui finit par étouffer certaines sonorités, mais ce qui provoqua paradoxalement une couleur particulière au titre. C’est en écoutant le concerto Brandebourgeois N° 2 de Bach que McCartney eut l’idée d’ajouter un piccolo. Cet instrument fut joué par un musicien professionnel, pour être finalement retiré du mix. Néanmoins, il existe un pressage américain du single sur lequel existe cette partie. Rare.
Lors de ces séances, le fameux Carnival Of Light de Macca fut écouté, et plus ou moins gaussé notamment par Lennon qui, à l’époque, trouvait cela tout à fait incongru. Ce qui ne l’empêchera pas d’imposer Revolution 9 sur le White Album à peine un an plus tard, sous l’impulsion d’une certaine Yoko Ono.
A contrecœur, l’équipe décida de sortir Strawberry Fields Forever et Penny Lane en éclaireur pour faire patienter. Un carton ! Mi-janvier, les quatre garçons déboulèrent en studio, défoncés, avec une nouvelle chanson. Et pas des moindres. Une nouvelle chanson de Lennon : A Day In The Life. Inspirée par l’accident de voiture dans lequel se tua Tara Browne, de la famille Guiness, cette chanson allait devenir le monument absolu de l’album en gestation. Cette chanson reste le point de convergence le plus flagrant du travail de composition en commun du duo Lennon / McCartney. En effet, depuis maintenant de nombreuses années, chacun des deux chantait ses chansons, et chacun composait. S’ils apportaient l’un et l’autre des petites touches, la plupart des choses n’étaient plus collégiales, en termes de composition. A Day in The Life fait figure d’exception. C’est la raison pour laquelle McCartney interprète le pont du titre. En effet, Lennon, après avoir composé son morceau, avoua à son complice, qu’il bloquait. Macca eut alors l’idée de ressortir un vieux bout de chanson dont il ne savait que faire et l’affaire était entendue. Cependant, il fallait joindre les deux morceaux, et aucune idée ne vint sur le moment. Lors des premières sessions, cette partie étant inexistante, 24 mesures vides seront placées au milieu, afin d’y insérer le lien, plus tard. On peut d’ailleurs entendre Mal Evans compter les mesures. Le réveil matin, apporté par Lennon, pour réveiller Ringo, mais non prévu dans le titre et posé là par Mal Evans va s’avérer opportun. Emerick ne parvenant pas à le faire disparaître du mix, il fut donc conservé. Un heureux hasard, puisque le pont de McCartney commençait par « Woke Up / Fell Out Of Bed « . Après l’enregistrement de la partie centrale de la batterie, ils décrétèrent une pause dans l’enregistrement pour donner suite à la promotion de Strawberry Fields Forever.
C’est alors que naît la véritable histoire « avortée » de Sgt Pepper’s. Au retour de cette pause, les Beatles décidèrent de s’attaquer à un nouveau titre plutôt que de continuer celui en cours. C’est ainsi que l’histoire du morceau titre débuta. Le concept de la chanson, et de l’album : Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band devaient devenir l’alter ego des Beatles, un groupe à part entière. C’est en avion que McCartney eut l’idée du nom de ce groupe fictif lorsqu’on lui demanda le « Salt & pepper », il entendit « Sergent Pepper ». Une anecdote raconte que si Elvis faisait jouer l’auto radio de sa Cadillac devant le public, pourquoi les Beatles ne pourraient-ils pas jouer le disque en guise de concert. Pourtant, il ne s’agissait là que de la genèse du concept puisque au départ, ce devait être une simple chanson. L’idée d’enchaîner les deux premiers titres, et quelques autres ne vint qu’à la fin de l’enregistrement. Le morceau titre, enregistré en quelques heures seulement, fut également source de tension entre Paul et George. Ce dernier ne parvenant pas à se dépêtrer avec son solo de guitare, Paul décida d’autorité de le jouer. Si Lennon avait accepté de bonne grâce de lui laisser également la rythmique, George n’accepta pas si facilement ce nouvel affront. Ces petits ressentiments allaient finir par rejaillir au compte-goutte, lors des sessions du White Album et de Let It Be.
De nouveau affairés sur A Day In The Life, les Beatles eurent l’idée d’utiliser un orchestre symphonique pour joindre les deux parties du titre. Si tout le monde aimait l’idée, Martin expliqua que le coût exorbitant d’un tel orchestre en interdisait tout simplement l’emploi. Ringo Starr déclara alors « faisons jouer la moitié d’un orchestre deux fois, voilà tout ! ». L’idée, après bien des tergiversations, était de faire jouer de la note la plus basse à la note la plus haute, et de plus en plus fort un demi orchestre ; Malgré les protestations de George Martin qui voyait là son cursus « classique » mis à mal « Vous ne pouvez pas faire jouer de tels musiciens sans partition ! », les Beatles se montrèrent particulièrement obstinés. Suivant leur enthousiasme, ils eurent l’idée de renouveler une seconde fois cette partie, à la fin du titre. Par ailleurs, Macca eut également l’idée d’organiser un happening, très à la mode, lors de ces séances qui se transformèrent donc bien vite en party très arrosée et très opiacée. Si l’orchestre jouait sérieusement, le reste du monde présent ce soir là (Jagger, Faithfull, Richards, Jones, Donovan, Nash…) assistait à une fête où chaque musicien était déguisé en clown et croulait sous les ballons (dont certains exploseront pendant la prise, plus ou moins audibles sur le disque). Après bien des heures à expliquer à l’orchestre quoi jouer, certains musiciens se montrèrent outrés que l’on puisse les faire venir pour jouer une telle cacophonie. Mais imperturbables, les quatre garçons avançaient bille en tête, et la fête continua, puis tout le monde rentra à la maison, effaré par ce qui venait de se passer. Pourtant, l’histoire du morceau ne s’arrête pas là. McCartney, toujours aussi impliqué, eut l’idée de plaquer ce fameux accord au piano pour conclure le titre, des jours plus tard. On convoqua alors tous les pianos et claviers disponibles dans les studios d’Abbey Road, et autant de gens furent convoqués pour plaquer l’accord. Un accord à quatre mains, joué le plus longtemps possible. Lors de l’enregistrement, c’est Ringo Starr seul qui va bouger et faire grincer sa chaussure. Le son est resté perceptible au mix. Néanmoins, la prise fut gardée car c’était la plus réussie de toute, Lennon n’étant manifestement pas en état d’être plus « raccord ». Malgré les légers problèmes techniques qui traversèrent le mixage du titre, il parut évident à tous qu’ils venaient de mettre en boîte un monument.
C’est à cette période que McCartney prit plus ou moins la main sur la production du disque. Les séances se déroulant de plus en plus souvent la nuit, George Martin s’écroulait de fatigue et rentrait en cours de séance. Par ailleurs, Lennon étant toujours plus défoncé, Macca n’eut aucun mal à imposer sa marque de fabrique en indiquant aux autres comment jouer et de quel instrument. Good Morning, Good Morning avait été mise en chantier, ainsi que Fixing A Hole. Si Fixing A Hole possédait une classe toute anglaise (où Macca nous raconte, entre autres, comment bricoler dans une vieille maison de campagne), Good Morning, Good Morning, inspirée d’une boîte de corn-flakes, dénote de l’état de Lennon. Le titre est sans doute l’un des plus faibles du disque, notamment dans son refrain absolument anecdotique. Mais il n’y eut aucune innovation pour ces deux titres, tout comme pour le suivant.
Vint donc enfin le tour de Harrison de s’exprimer. Il proposa dans un premier temps It’s Only A Northern Song. Les premières séances ne donnèrent rien, et il fallut attendre les dernières séances, et l’époque du film Yellow Submarine pour revenir sur le sujet. A cette époque, déjà, George était considéré comme une sorte d’adjoint par les deux autres, sans envergure, aux compositions souvent inintéressantes et bâclées, sur lesquelles il était pénible de s’attarder. Autre motif de futures querelles. C’est donc le bordélique Being For The Benefit Of Mr. Kite ! qui fut mis en chantier. « Une musique tourbillonnante » comme le souhaitait John, l’harmonium, joué par George Martin, contribua donc à apporter le climat de cirque. Le titre a été inspiré à Lennon par une affiche de cirque du 19ème siècle, située dans son salon. Mais les paroles étaient foncièrement surréalistes. Cependant, l’harmonium ne suffisant visiblement pas à créer l’ambiance souhaitée, l’idée vint d’utiliser la même technique que pour Yellow Submarine, en coupant des bandes d’effet, puis en les assemblant. Le morceau demandera au final bien des heures de studio puisqu’il comprend un nombre de re-recordings impressionnant, suite à l’adjonction de différents instruments plus improbables les uns que les autres.
L’innovation la plus notable de Lovely Rita tient à l’enregistrement de la basse au dernier moment. Ce titre qui évoquait les pervenches anglaises, va être peaufiné par McCartney des heures durant, et terminé au petit matin, seul avec l’ingé-son et son assistant. George Martin se chargea de jouer le solo de piano Honky Tonk.
L’une des anecdotes de studio de cette époque les plus savoureuses reste le soir où John Lennon ayant plus que largement abusé des LSD se trouva tellement défoncé qu’il ne put assurer les séances. Dans un mauvais trip, il expliqua qu’il se sentait mal. George Martin eut alors l’idée de le faire monter sur le toit pour prendre l’air et regarder les étoiles. Quelques minutes plus tard, Paul, affairé avec George Harrison finit par dire tout haut : « Mais où est John ? », « Je l’ai envoyé prendre l’air sur le toit ! ». Martin était particulièrement naïf quant à la consommation de stupéfiants de ses quatre larrons de prédilection. Paul et George, ont sitôt réagi en montant quatre à quatre les marches qui menaient au toit pour revenir quelques minutes plus tard avec un John Lennon toujours aussi perdu. Fin de séance. Norman Smith, avec qui les Beatles eurent affaire quelques années plus tôt déboula alors avec ses protégés du moment, les Pink Floyd, mais ils furent reçus de façon particulièrement froide par l’équipe et ils ne restèrent que quelques minutes, contrairement à ce que raconte la légende. En réalité, aucun des Floyd n’a assisté à la moindre séance de travail des Beatles qui, de toute façon, ne supportaient pas qu’une personne étrangère à leur cercle ultra fermé ne vienne mettre les pieds en studio.
En cette année 1967, le printemps commençait gentiment à poindre lorsqu’ils débutèrent les séances pour enregistrer Lucy in The Sky With Diamonds. Cette chanson ne leur prit que quelques jours de studio. La guitare de George Harrison va alors être passée dans une cabine Leslie, le même système que la voix de John sur le Tomorrow Never Knows de Revolver. On peut entendre très clairement les effets de phasing sur la voix cotonneuse de John sur le pressage mono du disque. Dans la foulée, ils mirent en boîte Getting Better, où la basse, sous l’impulsion du jeune ingénieur du son, est enregistrée dans les toilettes, la réverb’ y étant particulièrement adaptée au moins pour ce titre.
Vint à nouveau le tour de George de proposer quelque chose. Et il apparut très vite aux yeux de tous, à commencer par le duo de tête, que George n’avait rien de véritablement passionnant à offrir, si ce n’était un retour sur Revolver, avec Within You Without You. Si le morceau figurant sur Revolver était une réussite, ce nouveau morceau indien était pâlichon, face à ce qu’offraient les deux acolytes. De son propre aveu, Harrison était à l’époque avant tout passionné par l’Inde dont il revenait, et ne participait guère aux sessions. S’il était présent systématiquement, il lui arrivait de se pointer en retard et de ne jouer que de quelques percussions, de façon imprécise qui finissaient étouffées dans le mix. Sa première interprétation à la guitare sèche fit lever au ciel les yeux de Macca, Lennon et même Martin, et seules les différentes étapes et couches sonores finiront par donner un peu plus d’épaisseur à un morceau qui laissera malgré tout de marbre ses copains. Les différents musiciens Indiens venus pour enregistrer furent accueillis à bras ouverts par George, mais les deux autres larrons ne sachant que faire, échangèrent quelques regards circonspects.
Une fois She’s leaving Home enregistrée qui, outre les arrangements, leur demandèrent un travail plus complexe, avant qu’enfin Ringo entre à son tour dans l’arène. Comme pour chaque album, une chanson lui était dédiée. Le plus souvent, il s’agissait d’une chanson qui lui correspondait, sautillante, joyeuse et rigolarde. La séance débuta très tard et ses camarades prirent Ringo Starr par surprise. Peu de temps après sa dixième prise batterie, épuisé, celui-ci s’apprêtait à rentrer chez lui. Il se fait alors alpaguer par ses compères : « On fait les voix ! ». La meilleure méthode pour évacuer le trac de Starr était encore de le prendre par surprise, et contre toute attente, il boucla sa partie voix assez rapidement. With A Little Help From My Friends était née. Les trois autres Beatles restèrent derrière lui, à quelques centimètres pour l’encourager. Alors que tout le monde pensait la séance terminée, Paul resta. Il était temps pour lui de plaquer sur bande sa basse. Il monta en régie et enregistra sa basse durant près de six heures, dans une cabine étroite, à côté de l’ingénieur Emerick et de son assistant. Le 1er Avril 1967, avant dernière séance. La reprise de Sgt Pepper’s est enregistrée à une vitesse tonitruante, les Beatles jouant live, tous ensemble, comme à l’époque des concerts ; Seul un clavier sera enregistré en plus. L’énergie était telle que le décompte de Paul fut gardé, et que l’ingénieur du son eut bien du mal à canaliser la force de frappe de Ringo.
C’est donc à la toute fin des séances, alors que les autres Beatles travaillaient d’arrache pied sur la conception de la pochette, que George Harrison mit un point final à Within You Without You. Dans la même nuit furent ajoutés l’orchestre, la partie de sitar et la voix d’Harrison.
Lors du mixage final, supervisé notamment par les Beatles, pour le mono, puisqu’ils se désintéressaient totalement du mix stéréo, les quatre décident alors qu’il manquait un petit quelque chose pour terminer l’album. Un sifflement à 20 kHz, inaudible par l’homme mais destiné à faire aboyer les chiens est donc ajouté. Mais les Beatles trouvent toujours cela insuffisant. Cinq minutes de charabia furent enregistrées alors, puis sept secondes choisies pour les boucler et fermer le sillon.
Le 1er Juin 1967 sortait donc Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band. De la conception de sa pochette, tout ou presque a été raconté, avec plus ou moins d’exactitude. L’idée de réaliser le disque le plus cher de l’histoire, de réaliser la pochette la plus extravagante du monde, du pseudo concours avec les Beach Boys… Néanmoins, il est vrai que la conception de la pochette prit un temps considérable à l’époque où le standard était encore de prendre une simple photo des artistes. Par ailleurs, au jeu des noms manquant figure par exemple Hitler, que Lennon cita le soir où les Beatles listèrent les célébrités qu’ils souhaitaient voir figurer sur la pochette. Pour autant, il parvint à placer Aleister Crowley, fervent sataniste du 19ème siècle, ce qui ne manqua pas d’être relevé par certains journalistes. Au rayon des polémiques, il y eut Lucy In The Sky With Diamonds dont les initiales étaient considérées comme un appel à la défonce, alors que la chanson était inspirée d’un dessin, et d’une réflexion d’enfant. Quant à A Day In The Life, une seule phrase de la chanson suffit à embraser l’opinion, « I’d love to turn you on » et à faire interdire la chanson des ondes.
Néanmoins, les critiques furent dithyrambiques. En pleine période psychédélique, le disque semblait donner le ton de ce qui pouvait être fait de mieux en la matière. Longtemps considéré comme le chef d’œuvre ultime, il faudra quelques années de recul pour voir que s’il s’agit d’une prouesse technique éblouissante pour l’époque, le disque n’en est pas moins léger sur bien des points. Certaines compositions apparaissent bien faiblardes au vu de ce qu’ils avaient pu produire jusque-là, et le côté superproduction masque parfois l’éclat de certains titres. Par ailleurs, de tous les disques des Beatles, il reste l’un de ceux qui ont finalement le plus mal vieilli et une chanson telle que She’s leaving home a aujourd’hui bien du mal à paraître moderne. Cependant, l’album reste malgré tout l’un des plus importants de l’histoire du rock et un tournant dans l’histoire des Fab Four. En effet, à cette époque, ils commencent à consommer des drogues en masse, et deviennent alors de moins en moins « productifs » en studio, passant parfois des nuits entières à jouer et à s’amuser sans enregistrer la moindre note. Trop sûrs d’eux, ils commencent également à enregistrer des choses sans intérêt en proclamant tout systématiquement génial. Enfin, les tensions durables commencent à faire leur apparition. Après presque six mois passés en studio les uns sur les autres en quasi permanence, et après tant d’années passées ensemble, les jours sombres se profilent lentement.
Pour l’heure, les Beatles sont tout à leur euphorie. Ils viennent de réaliser un disque qui fera date, font la quasi unanimité dans les critiques et leur album se vend comme des petits pains.
[mks_col]
[/mks_col]
… A l’essoufflement de Magical Mystery Tour.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#dfad22″]P[/mks_dropcap]ensant pouvoir prendre quelques semaines de congés, le producteur et l’ingénieur du son se retrouvent étourdis lorsque McCartney déboule avec un nouveau projet. En parallèle, Brian Epstein leur avait annoncé, durant les sessions de Sgt Pepper’s qu’ils avaient été sélectionnés pour représenter l’Angleterre dans une sorte d’émission mondiale, transmise partout, par le biais des satellites. Cela n’avait pas manqué d’irriter Lennon et Macca qui n’aimaient pas se retrouver dans un projet sans donner leur accord en amont. Lennon composa donc un truc à l’arrache, quinze jours avant l’émission. Ce qui devait être joué en playback, le sera finalement en direct, pour partie en tout cas, Lennon tenant une guitare, Macca sa basse, Harrison une guitare et Starr sa batterie. Le reste sera du playback, envoyé sur bande depuis la régie. All You Need Is Love est né. Carton !
L’heure est donc à l’étude. En effet, sous l’impulsion de Paul, une nouvelle fois qui profite de l’état léthargique permanent de Lennon pour affirmer sa position de leader, naît le concept du Magical Mystery Tour. Il arrive avec un scénario, des personnages rocambolesques, et des idées sur les décors, les costumes. Malgré tout, l’énergie s’essouffle et le constat est rapidement amer, ils ne parviendront pas à égaler Sgt Pepper’s. Trop tôt. La première à être mise en chantier et rapidement emballée est la chanson titre. Mais cette fois, hormis de ralentir la bande pour jouer les cuivres, pour les rendre plus brillants une fois la bande remise à la bonne vitesse, les innovations techniques se font plus rares. Il faut aller plus vite, c’est en tout cas le sentiment de bon nombre des protagonistes de l’époque.
Une tragédie va venir semer le trouble dans leur existence dorée. Cette tragédie sera le début de la déroute d’un groupe qui va se désunir peu à peu, pour des raisons larvées ou clairement énoncées. Fin Août, Brian Epstein meurt d’une overdose. Les Beatles n’auront pas le droit d’assister aux obsèques de leur manager, à cause de leur notoriété. Epstein, bien que particulièrement discret, a été pendant longtemps le ciment de leur cohésion et tout allait peu à peu s’écrouler. Ils se remirent au travail dès septembre et Macca prit plus ou moins la place du manager. C’est I’m The Warlus qui est alors mise en chantier. Les débuts sont difficiles. La chanson peine à décoller, et laisse dubitative le producteur. Lennon lui-même peine à jouer la partie clavier et Macca se voit contraint de jouer le rôle de clic humain pour un Ringo qui ne parvient pas à garder le rythme. Les sons hasardeux obtenus depuis une radio ont eux été enregistrés directement lors du mixage, faute de pistes, devenant ainsi la seule chanson des Beatles à ne pouvoir être remixée. Trois chansons sont emballées rapidement, The Fool On The Hill, Blue Jay Way d’Harrison, qui jugée, une fois de plus, bien terne et Flying , issue d’une des sessions où les Beatles, complètement défoncés, improvisaient à l’envi.
En parallèle à cela s’organisait les premiers plans du film Magical Mystery Tour. C’est à ce moment là que le deuxième point sombre de l’histoire des Beatles fait son apparition. John Lennon s’entiche d’un nouveau personnage, Magic Alex, qui allait s’avérer bien des mois plus tard d’une très grande toxicité pour la cohésion du groupe. A la fin de l’année, après avoir disparu des studios d’enregistrement plusieurs semaines, les Beatles reçoivent leur première critique particulièrement vive. Au lendemain de Noël, le film est diffusé, perçu par tout le monde comme très mauvais, et par ailleurs, en noir et blanc, alors qu’il avait été tourné en couleur. Un désastre. Au cœur de l’hiver, ils reprennent les chemins du studio pour enregistrer The Inner Light, nouvelle chanson terne de George, encore inspiré pour la musique Indienne, et commencent à travailler sur Lady Madonna. En même temps, les premières ébauches d’Across The Universe font leur apparition avec une première version fut gravée pour un disque de bienfaisance. Enfin, ce sera au tour de Hey Bulldog enregistrée, également très rapidement et gardée pour la bande son de Yellow Submarine. Cette chanson mit un terme aux sessions d’enregistrement titanesques. Le 27 Novembre 1967 sortit le double EP Magical Mystery Tour qui deviendra plus tard un LP, agrémenté de chansons telles que All You Need Is Love pour coller plus facilement aux standards du format.
Si le disque est un nouveau succès commercial, tout comme Lady Madonna un peu plus tard, le début de la fin démarre à ce point précis de l’histoire des Beatles. Magical Mystery Tour, dans sa version connue à l’heure actuelle connaît des passages particulièrement brillants, et sauvent un disque qui aurait largement pu devenir profondément anecdotique. Avec Strawberry Fields Forever, Hello Goodbye, Penny Lane, I’m The Warlus, The Fool On The Hill, All You Need Is Love ou la chanson titre, le disque est une belle succession de singles mais n’offre pas la cohésion proposée lors de Sgt Pepper’s. Par ailleurs, les moments les plus creux de l’album n’étant pas énormément travaillés, ils mettent d’autant plus en exergue leurs défauts. Aujourd’hui, il serait exagéré de le considérer comme un chef d’œuvre, d’autant plus qu’il s’agit plus d’une compilation qu’autre chose, puisqu’il contient quatre titres issus de singles. Mais il n’est pas non plus à négliger car il représente malgré tout la somme du meilleur des Beatles. Ils sont alors à l’apogée de leur créativité, chaque chanson ou presque de Lennon ou de McCartney devenant un classique instantané.
La pochette hideuse est à l’image du film, et il suffit de regarder les photos du même film pour avoir une idée de son indigence. Outre le plaisir de regarder une curiosité concernant les Beatles, le film est absolument imbuvable, et consternant, comme la plupart des films des quatre garçons dans le vent qui se sont totalement désintéressés de Yellow Submarine alors qu’il est, aujourd’hui, l’objet visuel « pop » des Beatles le plus réussi, même si la bande son est absolument discutable.
A la dernière séance, chacun semble heureux. Le voyage en Inde est pour très bientôt, mais personne n’en reviendra indemne, d’une façon ou d’une autre. Les couples des Beatles battent de l’aile chacun de leur côté, ce qui joue sur le moral, l’ombre de Yoko Ono commence à planer, le fameux Magic Alex va devenir une sorte de mentor pour un Lennon qui, après des mois d’errance, souhaite reprendre lentement la machine Beatles, Harrison va en avoir peu à peu marre d’être considéré comme un simple renfort, Macca va devenir de plus en plus directif et Ringo va tout simplement quitter le groupe durant les prochaines sessions. Momentanément.
Avec le doublon Sgt Pepper’s / Magical Mystery Tour, les Beatles marquent d’une pierre blanche une époque particulière d’insouciance, et vont en être les plus dignes représentants, de ce côté du globe, là où Hendrix et tous les autres brillent aux Etats-Unis. Mais, tout comme sur le continent américain, la chute va être rude, et la descente d’acides particulièrement rude à remonter.
[mks_col]
[mks_one_half]
[/mks_one_half]
[mks_one_half]
[/mks_one_half]
[/mks_col]