FILMER LES PETITES CHOSES…
C’est au détour d’une de mes échappées virtuelles que j’ai découvert le film de Judith Amsallem, Bien sûr il y a les autres. Un film qui a eu l’effet d’un coup de poing dans l’estomac au milieu de la nuit. Je ne connaissais pas Judith Amsallem mais les réseaux sociaux ont cet avantage aujourd’hui d’abaisser les barrières. Portée par cette émotion je me permets de lui envoyer un petit message pour lui dire combien son film m’a touchée et comme j’aimerai que vous tous puissiez le voir ! Judith a donc accepté de vous présenter son projet.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]onnez moi un mois, une année, et je vous raconterai les choses formidables qui s’y sont passées. Vous et moi pourrions parler de ce qui nous a marqué, des rebondissements, des mariages, des morts, et puis de tout ce qui a mérité sa place dans les bandeaux des chaînes d’actualité. Tans pis pour tout le reste. Tans pis pour le vide, pour l’ennui, pour les minutes qui passent entre deux choses à faire, pour les sensations qu’on éprouve tous les jours ou presque et qu’il n’est donc pas utile de remarquer. Dommage pour toutes ces minutes qu’on n’a pas daigné conserver, faute d’originalité. J’ai supprimé sans même y penser tous ces blancs pour ne garder que l’extraordinaire. Prenons mes 20 ans, par exemple. ça n’est pour moi ni près ni loin. J’ai bien cette vieille radio de ma colonne vertébrale qui témoigne de mon squelette irréprochable et de ce piercing inattendu au nombril.
Pour tout le reste, je suis sèche. Mes avis sur les choses, mon appétit, la durée de mes nuits, la première image que je voyais en ouvrant les yeux, tout est parti. Je me souviens du plein, et plus du tout des creux.
Alors, allons fouiller dans les creux. J’ai pris une caméra dans les mains pour la première fois, et j’ai posté une petite annonce sur Internet pour réunir 5 personnes, dont le seul point commun était leur âge 20 ans, forcément. J’ai trouvé un tabouret sur lequel les asseoir, un mur blanc, un trépied, quelques lumières. Il n’a jamais été question que ça se passe autrement, je n’ai pas pensé à un autre dispositif. Recueillir leur parole était important, tout le reste était une perte de temps.
Avant de faire le film, on filme. Dans mon cas, on pose la caméra quelque part en essayant de l’oublier, même si ça n’est jamais vraiment possible (changer le cadre de temps en temps vérifier la batterie calmer les rêves de célébrité), et on démarre l’entretien. Il y a quelque chose de délicieux dans l’entretien fleuve. Il n’y a pas de thème, on ne sait pas vraiment quand il commence et quand il se termine, et pourtant il faut y mettre un terme en acceptant que tout n’a pas été dit, il faut faire le deuil de cette volonté de récolter toute la parole. Les conversations sont différentes avec chacun, et je ne sais pas très bien qui d’eux ou moi dirige l’histoire.
Débute ensuite la deuxième étape, celle du montage. Notre relation qui avait si bien commencée devient un amour à sens unique. Les trois heures en face à face avec chacune de ces cinq personnes sont si peu par rapport aux heures passées au montage ensuite, avec un casque et leurs voix dans mes oreilles. J’ai entendu et réentendu les mêmes mots mille fois. Je sais comment chacun d’entre eux respire, je repère leurs manies, je constate leurs manières de se taire, je repère mes propres maladresses, leur façon de se raccrocher aux branches, ou de détourner la question.
Ce déséquilibre est fascinant. Je me sens très proche d’eux, alors qu’on se connaît à peine. Je n’ai été que trois heures dans leur vie, alors qu’ils sont pour moi des identités si précises.
Le résultat est un film qui tente de raconter l’ordinaire, le très banal, le quotidien, ce qui semble tellement aller de soi qu’il n’est jamais questionné. Je voulais filmer ce qu’il se passe quand il ne se passe rien.
“Bien sûr, il y a les autres” filme cinq personnes de près, mais n’est pas un film de portrait. Il ne parle surtout pas d’une certaine génération car, hé, “bien sûr, il y a les autres”. C’est la collecte de 5 paroles, à cet instant précis, dont on ne sait même pas si elle est vraie. Ce film est la manière que j’ai choisie pour donner de la valeur aux mots qui racontent des petites choses.
Retrouvez Judith au fil de ses expériences pour le dépôt des peurs, A never-ending date ou encore l’émission de radio Le Mur Mou.