[dropcap]E[/dropcap]ntre le rêve et la réalité, la frontière est ténue et notre perception du monde qui nous entoure peut varier d’un seul mouvement, d’un léger glissement de notre regard, passant ainsi du bonheur à l’inquiétude.
C’est sur ces réflexions que semble se présenter à nous, le grand Bill Callahan, tout le long de ce splendide YTILAER, huitième album sous son nom, en intégrant Blind Date Party, sa belle collaboration avec son compère Bonnie Prince Billy parue l’année dernière.
Accompagné de son fidèle collaborateur Matt Kinsey à la guitare, mais aussi d’Emmett Kelly (basse/chœurs), Sarah Ann Phillips (piano/chœurs), du toujours époustouflant Jim White (batterie) et de quelques autres, Bill Callahan vient à nouveau nous narrer ses histoires du quotidien, réelles ou imaginaires, cette fois-ci au travers d’un miroir nous renvoyant aussi bien sa propre image que la notre.
Pour une plus grande facilité de lecture, on renversera le tout et on parlera dorénavant de Reality, tout en vous encourageant à suivre par contre le conseil de ce bon Bill, en écoutant d’une traite, les oreilles grandes ouvertes, les 12 merveilles qui composent l’album enregistré à Austin, au Texas avec le producteur Mark Nevers (Lambchop, Vic Chesnutt, Andrew Bird…) entre janvier et avril 2022.
Il a déjà été beaucoup écrit et raconté sur l’évolution de Bill Callahan, de ses débuts chaotiques et expérimentaux avec Smog à sa lente et impressionnante transformation en artiste majeur, n’ayant aujourd’hui comme égal que Nick Cave et désigné comme le successeur naturel de Léonard Cohen. Le natif de Silver Spring a aujourd’hui 56 ans et sa musique a suivi son parcours personnel, jusqu’à atteindre une certaine sérénité et une joie de vivre avec sa famille irradiant d’une douce plénitude ses dernières œuvres, comme Shepherd In A Sheepskin Vest ou Gold Record.
Si Reality poursuit globalement dans cette même veine, quelques tensions nouvelles se font jour et donnent le sentiment que Bill Callahan redouble d’ambition et cherche à secouer sa superbe country folk par quelques dérapages jazzy voire expérimentaux, en cela bien aidé par le talent de Jim White aux baguettes.
L’album semble ainsi se partager entre chansons d’amour et hymnes à la nature (Coyotes, the Horse, Planets, first Bird) et réflexions plus larges sur l’état du monde, entre pandémie, pollution et violences quotidiennes aux États-Unis comme décrites avec son talent habituel de songwriter sur le fabuleux Naked Souls (Maybe I’ll Buy Another Gun Maybe He’ll Become A Policeman Or Kill One), paroles terribles soulignées par de délicates notes de piano avant une impressionnante montée de rage et de de tension.
L’album commence bien plus délicatement avec le magnifique First Bird, comme ces quelques minutes qui suivent le réveil et les souvenirs de nos rêves qui tendent à nous échapper, le chant des oiseaux nous rappelant à la réalité, les enfants aussi, d’ailleurs, la chanson débordant d’un amour familial étincelant porté par la voix superbe et profonde de Bill et la guitare de Matt Kinsey.
Everyway est faite du même bois, douce et suave folk song, gagnant peu à peu en tension et accélération, démontrant aussi et surtout que Bill Callahan avance ici avec un vrai groupe, à la hauteur voire même capable de le pousser dans ses derniers retranchements. Jim White et Emmett Kelly mettent ainsi le feu au traditionnel Bowevil, sec et flippant comme du Smog de la grande époque, ce que ne démentira pas le tout aussi impressionnant Partition, un des nombreux sommets du disque, son lancinant Do What You’ve Got To Do, à reprendre à tue-tête, avant de se laisser emporter par l’orgue B3 de Sarah Ann Phillips et la clarinette de Carl Smith.
La famille de Bill Callahan est donc toujours aussi omniprésente, participant ici aux chœurs (Planets) le contraignant dans son travail entre composition, écriture et enfants dans les pattes (Natural Information ou First Bird). Cela se traduit directement par la superbe déclaration d’amour de Coyotes ou le poignant hommage à sa mère sur la délicatement dépouillée Lily.
La même épure et la même émotion transportent les tout aussi beaux Drainface et The Horse, pianos, trompettes et guitares créant un superbe écrin à la voix troublante et émouvante de Bill Callahan, qu’il met de côté pour laisser de l’espace aux instincts free jazz de ces musiciens sur Planet avant de revenir à une americana plus classique sur Last One Of The Party, bouclant l’album en une heure, une heure comme une journée, une heure comme une vie…
YTILAER est encore un très, très grand disque de la part de Bill Callahan, mon préféré depuis Sometimes I Wish We Were An Eagle. On pourrait s’habituer à tant de talent voire même s’en lasser, espérant retrouver le Red Apple Falls d’il y a 25 ans, alors que s’écrit devant nous une des œuvres les plus belles et ambitieuses qu’il nous soit permis d’écouter, par un artiste qui sait d’où il vient et où il va. La réalité est là, Bill Callahan est un génie et YTILAER un chef d’œuvre tout simplement.
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YTI⅃AƎЯ – Bill Callahan
Drag City Records – 14 octobre 2022
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Image bandeau : Hanly Banks Callahan