[dropcap]L[/dropcap]a série anglaise Black Mirror n’est pas une série. Il s’agit d’une série d’épisodes traitant un thème commun – la technologie perçue comme une drogue – et non d’une suite d’intrigues et de personnages qu’on retrouverait d’un épisode à l’autre. A chaque épisode son casting, son décor, son univers et son réalisateur.
Une seule et vaste question pilote les sept épisodes, d’environ une heure chacun, des deux saisons parues en 2011 et 2013, formulée ainsi par leur créateur Charlie Brooker : « Si la technologie est une drogue, alors quels en sont les effets secondaires ? C’est dans cette zone entre joie et embarras que Black Mirror se situe. Le « Black Mirror » du titre est celui que vous voyez sur chaque mur, sur chaque bureau et dans chaque main, un écran froid et brillant d’une télévision ou d’un smartphone. »
Sur ce thème se déclinent ensuite différentes approches, de la fable politique (saison 1, épisode 1, L’hymne national) au drame psychologique (saison 2, épisode 1, Bientôt de retour). Si elle est toujours tintée de science-fiction ou du moins d’anticipation, la réalisation de chaque épisode emprunte en même temps aux divers codes du genre : film d’horreur et d’action (saison 2, épisode 2, La Chasse), film d’aventure (saison 2, épisode 4, Blanc comme neige), comédie dramatique (saison 1, épisode 3, Retour sur image). L’angle général, l’impact de la technologie dans nos vies, permet de traiter de diverses façons tout un panel de sujets différents. Un épisode mettra l’accent sur le show réalité, l’autre sur l’intoxication de l’information, le troisième sur l’éradication de la vie privée, et ainsi de suite. On regarde donc moins Black Mirror comme une série que comme une compilation de moyen métrages inégaux entre eux, selon que l’on préfère tel réalisateur, tel genre ou tel sujet.
De mon point de vue, l’épisode le plus réussi est le deuxième de la première saison, intitulé 15 millions de mérites. Bing Madsen (Daniel Kaluuya) vit dans un monde où les écrans sont omniprésents. Comme tous ses congénères, il possède un avatar virtuel lui servant de truchement entre le monde physique et le monde virtuel et il passe ses journées à pédaler sur un vélo d’appartement pour accumuler de l’argent sous forme de crédits virtuels. Un jour, il rencontre Abi Carner (Jessica Brown Findlay), une jeune chanteuse au talent bien réel. Mais tous deux sont confrontés aux règles implacables de cet univers confiné lorsqu’ils tentent de concrétiser leurs rêves en participant à Hot Shot, une émission censée dénicher les talents de demain.
Le propre d’un récit d’anticipation est d’accentuer une réalité que l’on connaît déjà, en grossir les traits pour souligner ses mécanismes. Cet épisode là de Black Mirror est particulièrement intéressant en ce qu’il s’éloigne des thèmes généralement abordés dans les autres épisodes et que l’on nous rabâche sans relâche si tôt qu’on parle de l’évolution des technologies numériques : le respect de la vie privée, le flicage et le ciblage de chacun à travers les réseaux sociaux et le caractère faux ou dénaturé des relations numériques. Au contraire, bien que le héros déteste visiblement son avatar, cela ne l’empêche pas d’être heureux de recevoir un baiser virtuel de la part de l’avatar de la jeune femme qu’il a rencontré plus tôt. Le problème n’est pas ici le respect de la vie privée mais plutôt l’absence de consistance de la vie, telle qu’elle est comprise dans ce système.
Le thème abordé par cet épisode s’éloigne de l’individu pour esquisser les contours plus généraux d’une société et d’un mode de consommation. La technologie est comprise ici en tant que traduction du capitalisme. Ce qui est terrible, ce n’est pas d’être envahi par des écrans ou des images mais bien d’être envahi par un amas de conneries, le spot publicitaire mélangé au porno et aux comédies burlesques. On est littéralement prisonnier de la mauvaise production de masse et impossible de fermer les yeux (l’écran le détecte et force à regarder). Il n’existe rien d’autre dans cet univers là. Le travail n’existe plus réellement, la force de travail est entièrement coupée de sa production. Tout le monde doit pédaler pour amasser de l’argent virtuel, mais pédaler ne sert à rien à proprement parler et devenir riche non plus.
Il s’agit en fait de gagner des crédits pour en gagner encore davantage, de s’enrichir pour s’enrichir. Le système n’est bien sûr pas pensé pour s’enrichir réellement, les frais quotidiens étant trop importants pour épargner. Le héros doit voler de la nourriture et ne rien faire d’autre que pédaler pendant des semaines pour pouvoir se payer un billet vers l’émission Hot Shot. Cette émission sur le mode »nouvelle star » est le moyen mis en avant par le système pour entretenir l’espoir d’arrêter un jour de pédaler en rejoignant le cercle des riches happy few. Autrement dit : gagner au loto. Une prestation quelconque (danse, théâtre, chant, ça n’a aucune importance puisqu’il ne s’agit que d’entertainment) devant un jury horrible. Tout ce que l’on gagne à cela, c’est soit retourner pédaler sans un rond (tout a été dépensé dans la place du concours – dans le ticket de loto), soit se voir proposer un rôle dans une émission, émission qui contribue à faire tourner la machine. On deviendra alors quelqu’un qui encourage les autres à continuer à pédaler et on aura les crédits nécessaires pour bloquer les publicités importunes. Mais rien d’autre puisque le travail et la richesse n’ont plus de sens.
Ce système qui dénature le travail, dématérialise la production, fait l’apologie de la richesse tout en entretenant la pauvreté, c’est hélas le nôtre aujourd’hui. Heureusement que nous avons encore des films comme cet épisode de Black Mirror pour le dénoncer.
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Black Mirror de Charlie Brooker
5 saisons depuis 2011
Produit par Channel 4, puis Netflix
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Pour moi le meilleur des episode de cette serie
+1 . Et bonne analyse
L’épisode parle aussi du rêve de la célébrité qui est vendu aux jeunes dans notre société. Ce rêve illusoire qui quelques fois cache une réalité plus sombre.
Il montre aussi comment ce monde des paillettes peu détourner les personnes de leurs but premier Abi n’était qu’une chanteuse qui voulait se produire devant un public, le jury lui propose un marché diabolique « si tu veux devenir une star devient une traînée sinon ce sera retour à l’anonymat pour toi et tu retournera pédaler sur ton vélo » elle finit par accepter le contrat. Au départ elle voulait chantait à la fin elle se retrouve à faire le tapin dans un show de télévision.
Même constat pour Bing qui dans cet épisode endosse le rôle du révolutionnaire, le courageux héro qui dit tout haut ce que le peuple pense tout bas, prend des risque pour ces idées en menaçant de se ôter la vie une lame sur la carotide, mais qui au final se fait acheter par le système en lui proposant d’animer un chaud. Ainsi ce qui était au départ un cri du coeur, une contestation devient un spectacle. Et ça aussi c’est un phénomène que l’on peu voir dans la vie réel.