[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#bf100a »]J[/mks_dropcap]e dois vous dire une chose avant de débuter cette chronique. Les albums de collectif avec des guests longs comme des bras, ça m’a toujours collé une poussée d’acné purulent. Allez comprendre. Enfin… j’ai bien une petite idée : années 80, USA For Africa, Chanteurs Sans Frontières ou, plus près de nous, Les Enfoirés.
Je sais, je suis d’une mauvaise foi crasse, mais à la vue du Who’s Who indie rock (national comme international) faisant partie de Broken Homeland, premier album de Valparaiso, j’ai eu comme un mouvement de recul. C’est con, je sais. D’autant plus quand on jette un œil aux membres permanents le constituant. Trois sont d’anciens Jack The Ripper (Thierry et Hervé Mazurel ainsi qu’Adrien Rodrigue) et les deux autres, le génial batteur Thomas Belhom et le guitariste Matthieu Texier (ancien Les Hurleurs).
Je vais me permettre un tout petit aparté et revenir sur Jack The Ripper. Le groupe fut, au tout début des années 2000, l’un des rares à tenir la dragée haute à des Tindersticks ou autres Black Heart Procession, et probablement le seul digne successeur de Passion Fodder. Après trois disques et quelques années d’insuccès, les frangins Mazurel et Rodrigue sont partis fonder, le temps d’un album, The Fitzcarraldo Sessions, entité à sept membres développant le même concept que Valparaiso (à savoir membres permanents + invités sur chaque chanson) pour un résultat en demi-teinte.
Voyant le concept et connaissant The Fitzcarraldo Sessions et ses faiblesses (pour résumer, une collection de chansons élégantes, parfois superbes ressemblant plus à un patchwork qu’à quelque chose de cohérent), c’est à reculons que je me dis qu’il va falloir que je commence à envisager si je ne pourrais pas écouter Broken Homeland, histoire de voir si c’est pas mal, bien, très bien ou si ça fera une excellente alternative aux hypnotiques.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#bf100a »]J[/mks_dropcap]e sais, là encore je suis de mauvaise foi. Même si le fond est un peu vrai, le casting choisi par le quintet, assez exceptionnel (Christine Ott, Howe Gelb, Josh Haden, Dominique A, Shannon Wright, John Parish, Phoebe Killdeer et j’en passe), laisse entrevoir un sérieux espoir.
D’autant plus sérieux quand est annoncé, à la production en plus du chant/guitare, l’excellent John Parish.
Pour être encore plus honnête, je me dois d’ajouter que, si sur l’aspect musical du projet j’étais un peu circonspect, sur le visuel en revanche, j’étais conquis d’avance. Il m’a suffit de regarder cette somptueuse pochette pour me dire que si la musique était à son image, je tenais là un des albums les plus élégants de l’année.
Bref, malgré ma mauvaise foi, et parce que, sait-on jamais, sur un malentendu, ça pourrait marcher, je me suis décidé à lancer l’écoute.
Et là, de fait, en une minute montre en main, l’évidence tombe sous le sens, Broken Homeland s’annonce tout simplement somptueux.
Somptueux comme les premières mesures de Rising Tides, écho lointain d’un paysage aride, western tragique fantasmé par deux excellents interprètes (Howe Gelb/Phoebe Killdeer), sorte de Lee Hazlewood/ Nancy Sinatra désespérés.
Somptueux comme le jeu de Thomas Belhom, à la fois sobre et omniprésent, amenant son univers, sa touche de folie au service d’une chanson crépusculaire, un peu comme si Calexico donnait le change aux Tindersticks sous l’égide de Townes Van Zandt.
Somptueux enfin comme le mixage de John Parish, apportant cette touche crépusculaire, sobre, très cinématographique, évoquant Anthony Mann ou Peckinpah sans cette fascination/répulsion pour la violence.
Parce qu’à l’image de Rising Tides, Broken Homeland, c’est en tout treize morceaux revisitant différents paysages, arides en surface, écrasés par un soleil de plomb, mais emplis d’une vie très riche, vision lynchienne du western, avec son quota d’étrangeté dans ce qu’elle peut avoir de magnifique (il suffit juste d’écouter Valparaiso avec Christine Ott pour s’en convaincre) ou de troublant (le superbe et mélancolique Broken Homeland, chanté par Phoebe Killdeer).
Treize titres où chaque interprète impose sa personnalité, essaie de se fondre dans la proposition musicale des Parisiens. De ces confrontations sortent parfois des résultats étonnants (Julia Lanöe parvient à se laisser dompter par le quintet tout en conservant son univers si particulier sur Le Septième Jour, Dominique A s’adapte au point de sortir son meilleur morceau depuis … L’Horizon), d’autres un peu à côté de la plaque (Constellations, trop empreint de l’univers de Josh Haden pour fonctionner parfaitement ou encore Blown By The Wind, un cran en-dessous des autres morceaux).
Mais la plupart du temps, l’alchimie marche plein tube, les interprètes se glissant aisément dans des costumes taillés à leur mesure : Howe Gelb impressionne dès qu’il pose sa voix, mais c’est surtout lorsque Shannon Wright ou Phoebe Killdeer prennent les rênes que Broken Homeland atteint des sommets (The River en duo avec Parish ou le morceau-titre et son crescendo assez bouleversant).
Bien sûr, Broken Homeland ne se résume pas seulement au choix de ses interprètes ; pour que la réussite soit totale, il faut également un groupe en osmose avec eux ou réciproquement. Et c’est là que le choix des Mazurel(s) et Rodrigue a été absolument crucial. Le renfort de Matthieu Texier et surtout Thomas Belhom aux fûts a permis au groupe de ne pas se laisser déborder par les différentes personnalités invitées, de trouver une cohérence qui fera lien et ainsi obtenir l’unité qui manquait à The Fitzcarraldo Session.
Parce qu’en jetant une oreille à leur ancien projet, c’est tout de même ce qui frappe quand on écoute l’intégralité de Broken Homeland, cette impression que Valparaiso a su réajuster le tir pour offrir un disque cohérent (la cohérence va jusque dans la création de la pochette : si vous y regardez de plus près, les Parisiens offrent une magnifique stèle à Fitzcarraldo. Preuve que le groupe est bel et bien enterré et que Valparaiso ne manque pas d’humour).
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#bf100a »]I[/mks_dropcap]l faut dire aussi qu’ils ont pris leur temps pour le peaufiner : l’album a été enregistré à Bristol avec Parish en 2014, et devait sortir (presque) dans la foulée, l’année d’après. Pourtant, il aura fallu attendre près de trois ans pour qu’il voit enfin le jour.
Trois années où Broken Homeland est devenu un concept ne se limitant plus seulement à la musique mais aussi à la photographie (Thierry Mazurel n’est pas seulement bassiste mais également un excellent photographe. D’ailleurs, jusqu’au 5 novembre dernier vous pouviez voir son exposition photo nommée… Broken Homeland), ainsi qu’à la vidéo (Thierry Mazurel réalisera Wild Birds tandis que Rising Tides et Marées Hautes le seront par un duo, Richard Dumas & Amaury Voslon). Trois années de réflexion qui, au final, auront porté leurs fruits au-delà de nos espérances ou de nos peurs, c’est selon.
Disons le clairement : Broken Homeland est une des plus belles invitations au voyage de 2017, ne la refusez pas, vous louperiez quelque chose de somptueux.
Et, dernier point non négligeable, si vous souhaitez acheter le disque, procurez-vous l’édition vinyle, elle est double et contient un bonus de trois morceaux dont une superbe relecture instrumentale de Rising Tides, refermant logiquement ce sommet d’élégance qu’est Broken Homeland.
Valparaiso – Broken Homeland
Sortie le 22 septembre dernier chez Zamora et disponible chez tous les disquaires élégants de France et de Navarre.