Par Adrien :
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#4c3ea3″]C'[/mks_dropcap]est une simple histoire d’amour, une histoire d’amour fou entre deux femmes, ce qui ne fait en rien son originalité. Pourtant, Pauline Delabroy-Allard a écrit ici l’un des très beaux livres de cette rentrée littéraire. Par son style, son écriture et sa sensibilité, elle réussit à nous transporter dans ce que vit la narratrice.
L’écriture est libre et transmet la sensualité et la violence, les petits riens et le drame de l’amour. Lire ce livre est comme une rafale de vent dans la chaleur du sentiment amoureux.
La narratrice rencontre Sarah lors d’un réveillon du Nouvel An et c’est une tornade qui déboule dans la vie de cette femme. Le père de son enfant a disparu, un nouvel amant l’a remplacé.
Quand je parle de lui, je dis mon compagnon. Il m’accompagne, voilà c’est ça, il m’accompagne dans cette vie chagrine.
Le mot « latence » revient souvent, elle cherche à le définir. Mais déjà Sarah est là, qui l’accapare, qui la bouleverse. L’amour va brûler comme le soufre sur le bout d’une allumette. Le livre est séparé en deux parties distinctes : la période de l’amour et sa fin, sa perte. Cette séparation, le lecteur la ressent avec d’autant plus de force que la première partie est virevoltante, aiguisée d’une écriture rythmée par l’énergie de cette passion.
La deuxième partie est la période où l’amour disparaît, où l’on se sépare. L’écriture devient lamentation. La narratrice part à Milan puis à Trieste pour s’échapper de cet amour qui la poursuit. Comme s’il était impossible de se défaire d’un pareil amour, d’y survivre. L’histoire devient dramatique, douloureuse et, encore une fois, le lecteur le ressent après l’époustouflante première partie.
Le style de Pauline Delabroy-Allard est résolument au service du sensible, ne s’empêche pas autant le plus trivial des détails que la métaphore la plus lyrique.
C’est une impression de liberté qui ressort de ce premier roman, celle d’une écrivaine qui se permet de parler d’amour. Dans la littérature contemporaine, ce n’est pas si commun. Le sujet semble être laissé aux naïfs ou aux vendeurs de littérature au rabais. Quand l’amour est abordé, on semble vouloir le saisir avec beaucoup de précaution. Ce n’est pas le cas de Pauline Delabroy-Allard. Elle saisit ce sujet à pleines mains et en fait ressentir le moindre frisson au lecteur. La langue qu’elle utilise est enflammée mais aussi marquée par un goût que l’on imagine prononcé pour Marguerite Duras et sa syntaxe si particulière.
L’auteure, dont le livre paraît aux Éditions de Minuit, semble nous remontrer le chemin vers ce qu’il y a de beau et de littéraire dans l’amour. Ainsi naît une œuvre libératrice qui donne envie de croire à un nouveau romantisme en littérature.
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Par Célina :
Quelle intense expérience de lecture ! Merci à Pauline Delabroy-Allard de nous faire vivre, au plus près des personnages, une histoire d’amour aussi vibrante, aussi dingue et aussi dure. On dévore ses mots, avec gourmandise, boulimie même car il est difficile de s’arrêter, tant on est pris.e par cette histoire belle à en pleurer. Sarah fascine, on en tombe amoureux.euse, comment faire autrement. Et celle qui rencontre et raconte Sarah est bouleversante, plongeant dans la passion, sublime.
Il y a dans l’écriture de ce roman de la vie, beaucoup, et du danger. L’histoire fait peur car on bascule dans la folie mais on voudrait tellement s’y brûler ; connaître Sarah et pouvoir dire d’elle, comme le fait la narratrice :
Elle me respire, elle m’aspire. Ca raconte ça : le souffle, le soufre, la tempête.
On voudrait voir Sarah et ses « yeux de serpent aux paupières tombantes » ; l’entendre parler, avec ses mots un peu bizarres et vulgaires, l’écouter chanter « Dreams are my reality » et jouer du violon au sein de son quatuor à cordes, vêtue de son époustouflante robe noire ; la suivre à Venise, Bruxelles, Helsinki, Chambord lors de ses tournées ; la voir manger goulûment des prunes ou des cerises ; et partager avec elle des pains au chocolat au petit déjeuner après une nuit d’amour fou.
Pauline Delabroy-Allard nous donne tout de cette histoire, jour après jour, nuit après nuit, saison après saison. Elle nous livre les sensations, infimes et intenses ; les souffrances, latentes et aigües ; les beautés, simples et sublimes.
Elle fait de cet amour un roman bien sûr, mais aussi un film et une musique. Les deux femmes aiment se plonger dans les salles obscures et dans la musique classique ou les chansons qui racontent des histoires aussi belles et tragiques que la leur, rythmant leurs ébats ainsi que leurs déchirures. Elles sont des héroïnes, des possédées, des folles, des insatiables.
Et elles sont des personnages qui pourraient s’aimer dans des romans de Marguerite Duras : Pauline Delabroy-Allard parsème son récit de telle tournure, de telle référence qui rendent un touchant hommage à celle qui passa sa vie à écrire sur l’abandon, le vertige, la fièvre.
Il vous faut rencontrer Sarah et éprouver la folie qui en découle car c’est extraordinaire de pouvoir se laisser emporter à ce point par un roman, un premier roman qui plus est. Quelle énergie, aucun temps mort. On en sort sonné.e, bouleversé.e et les dernières pages lues, le silence s’installe, sidérant…