Mardi 23 mai 2017
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]u cinéphile naïf qui pense que descendre à Cannes consiste à s’abriter de la lumière pour tendre les yeux vers une toile blanche, la ville toute entière apporte un démenti cinglant.
Ici, les yeux sont en chasse. Les envieux en quête de l’invitation à la séance de leur rêve, les journalistes sur la couleur du badge du collègue, qui en fonction pourra lui piquer sa place, les badauds des stars, évidemment.
Dans les rues, la foule s’organise en grappes, noyaux fluctuants au gré des centres d’intérêt : le promeneur les rejoint toujours, insidieusement, s’allumant en lui l’excitation de l’évènementiel. Ils regardent, il se passe quelque chose, j’y vais.
La plupart du temps, le regard est dans l’attente. Devant les halls de chaque palace, les pieds se tendent pour scruter les verres fumés des berlines dont on ne distingue que les marques dorées du sponsor.
Quand un professionnel braque un téléobjectif, il dirige à son insu le regard de la rue toute entière. Qui cherche, au loin, sur la plage, ce qui peut bien retenir l’attention du paparazzi.
Quand une jeune femme sculpturale en robe rouge donne son téléphone à un passant pour qu’il la prenne devant l’enseigne du Martinez, l’effervescence est immédiate : on dégaine, on shoote, sans savoir, on vérifiera plus tard. La jolie demoiselle aura eu son petit buzz, les passants le frisson d’avoir atteint une cible. Tout le monde est content.
De toute façon, tout le monde est sur son 31. Les hôtesses sont recrutées comme si elles postulaient chez Elite, tout est immaculé et l’on en vient à se demander comment les indigènes, à savoir le troisième âge, osent encore arpenter leurs propres rues, tant ils font tâche dans le défilé permanent des décolletés et des nœuds pap’.
Parce qu’il ne faut pas se leurrer : on ne cherche plus à voir les célébrités, mais à les emprisonner au sein de sa propre image. Le quart d’heure de gloire warholien n’est plus, vive l’autocélébrité permanente du selfie. Bérénice Béjot, lorsqu’elle va vers la foule amassée derrière la grille ne sourit plus au public, mais à l’écran des chanceux du premier rang, qui l’ajoutent à leur catalogue égocentré.
Autant de stars qu’il y en a dans le ciel. Mais ça fait longtemps qu’on ne lève plus les yeux vers lui.
Les séances du jour :
Vers la lumière
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]isako aime décrire les objets, les sentiments et le monde qui l’entoure. Son métier d’audiodescriptrice de films, c’est toute sa vie.
Lors d’une projection, elle rencontre un célèbre photographe dont la vue se détériore irrémédiablement.
Naissent alors des sentiments forts entre un homme qui perd la lumière et une femme qui la poursuit.
Si l’on voulait être méchant, on pourrait dire qu’il vaut mieux s’infliger ce film sur la cécité que d’être aveugle. Kawase s’empare d’un thème ô combien auto réflexif et mutliplie les mises en abyme dans ce film qui explique le travail de l’audiodesription, et de la manière dont une femme tente de trouver les mots justes pour décrire des séquences cinématographiques. La réalisatrice, qui ne recule devant aucune leçon pontifiante et verbeuse, semble assez satisfaite de sa propre vision de la chose, où l’on nous expliquera que toute la beauté du monde est sous nos yeux, et qu’il suffit de la saisir, avant qu’elle ne s’apprête à disparaître.
La beauté du monde, c’est une plage, des couchers de soleil à n’en plus finir, des lens flare et du piano, un photographe qui perd la vue, une vieille qui perd la boule, une femme qui aimerait probablement perdre sa virginité.
Pensum déguisé en exercice de style arty, Vers la lumière est didactique, répétitif et souvent mièvre, délaissant bien des principes qu’il édicte en leçons vaporeuses pour manuel new age de personal achievment.
Out
(Un certain regard)
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Á[/mks_dropcap]goston, la cinquantaine, quitte sa famille pour s’aventurer à travers l’Europe de l’Est avec l’espoir de trouver un emploi et de réaliser son rêve : pêcher un gros poisson.
Porté par le vent et le sel marin, il parvient en mer baltique. Son périple le plonge dans un océan d’événements et de rencontres inattendus : une femme solitaire, un russe aux intentions hostiles et un étonnant lapin empaillé.
Premier film slovaque de Györg Kristof, abordant des problématiques tristement globalisées, Out suit la trajectoire d’un chômeur ballotté entre embauches et oisiveté forcée. S’en suit une sorte de road movie un peu branque au fil de rencontres qui brossent par touches plus ou moins insolites le portrait d’un pays, La lettonie, ou le slovaque d’à côté est considéré au mieux comme exotique, au pire comme un parasite.
Formellement, le film est ambitieux et méritant : les plans de paysages bétonnés à l’infini ou des coques de bateaux démesurées sont souvent superbes et d’une grande force plastique. Quant au récit, il opte pour une gradation dans l’insolite que ne fait pas toujours mouche, et peut, dans sa structure à sketches, un peu lasser.
Le jour d’après
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]reum s’apprête à vivre son premier jour de travail dans une petite maison d’édition. Bongwan, son patron, a eu une relation amoureuse avec la femme qu’Areum remplace. Leur liaison vient de se terminer.
Ce jour-là, comme tous les jours, Bongwan quitte le domicile conjugal bien avant l’aube pour partir au travail. Il n’arrête pas de penser à la femme qui est partie.
Ce même jour, la femme de Bongwan trouve une lettre d’amour. Elle arrive au bureau sans prévenir et prend Areum pour la femme qui est partie.
Forme pure, ligne claire, dans un noir et blanc d’une clarté étonnante, Le jour d’après est fidèle au cinéma de Hong Sangsoo. Fondé sur quelques plans séquences rivés à des dialogues sur lesquels le panoramique alterne les répliques, le film impose progressivement son rythme atypique. Les comédiens sont assez sensationnels, au premier rang desquels Kim Min-Hee, dotée d’un personnage qui permet de décadrer le traditionnel marivaudage du trio homme/épouse/maîtresse. C’est la pièce rapportée qui devient la confidente, la philosophe, voire la directrice de conscience, à son insu et avec une évidence désarmante. Pari difficile que de maintenir son audience éveillée, en ce mardi où les festivaliers accusent tous un gros coup de fatigue : mais, pour peu qu’on se laisse aller à cette ritournelle d’une simplicité étonnante, la magie peut opérer.
L’Atelier
(Un certain Regard)
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]a Ciotat, été 2016. Antoine a accepté de suivre un atelier d’écriture où quelques jeunes en insertion doivent écrire un roman noir avec l’aide d’Olivia, une romancière connue. Le travail d’écriture va faire resurgir le passé ouvrier de la ville, son chantier naval fermé depuis 25 ans, toute une nostalgie qui n’intéresse pas Antoine. Davantage connecté à l’anxiété du monde actuel, il va s’opposer rapidement au groupe et à Olivia, que la violence du jeune homme va alarmer autant que séduire.
Synthèse de l’univers de Cantet, en ce qu’il donne à la jeunesse la possibilité de parler à bâtons rompus tout en explorant de manière presque clinique la conscience vacillante d’un jeune homme face à l’irréparable, L’Atelier est un film foisonnant, riche de multiples strates (l’écriture, la fiction le radicalisme, l’extrême droite, le chômage…), jusqu’à la maladresse didactique par moments.
Mais le jeu solaire des comédiens l’emporte, et les directions assez surprenantes prises par l’intrigue lui confèrent une poésie noire qui dérive vers la fable quasi existentialiste. Ou comment passer d’un portrait générationnel à la question, essentielle, du rapport entre liberté individuelle et morale. Un film fort et étonnant.
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