Mercredi 24 mai 2017
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]annes, on l’a vu, est une série de barrières qu’on tente de franchir. Au bout de quelques jours, on a une idée à peu près correcte de sa caste : ce qui est de notre ressort, ce qui est off limit.
Le néophyte commence ainsi à prendre de l’assurance : il présente son badge presque avec négligence au service de presse, il sait que dans le Grand Théâtre Lumière, il devra s’installer sur le côté, il renonce d’avance à certaines projections réservées à la presse, dont il est le dernier maillon.
Mais la véritable chose à apprendre, c’est que les règles changent.
Un jour, tu ne peux franchir cette passerelle parce qu’Isabelle Huppert va passer (j’attends toujours ses excuses pour m’avoir obligé à repasser 3 portiques de sécurité par sa faute). Un autre, on t’apprend que pour cette séance, on limite à 50 les badges presse. Comme ça. Pour un film coréen dont il n’y avait qu’une seule projection la veille. Bon. A une projection, on te dit que tu y accéderas peut-être, attendez je me renseigne, et au bout de dix minutes, oui mais c’était cette file dans laquelle se sont engouffrées 150 personnes entre temps.
La première fois, on se sent honteux, on s’excuserait presque. Grave erreur : lorsqu’on a entrouvert la mâchoire sur l’os, il ne faut jamais lâcher. Jamais. On demande à quelqu’un d’autre, et on passe. On attend, quelqu’un se désiste, et on passe. On pose la même question en anglais, et on passe.
Mais il reste encore à passer les portiques. Là, la règle est connue, on ne vous autorise pas à emporter de quoi compromettre la sécurité. Les gars, sur les dents, font un boulot de titan, et je salue (sans ironie) leur sang-froid. J’ai vu une espagnole à qui on retirait la broche, contrainte de déverser le flot de sa chevelure de jais, ce qui, au passage, à du compromettre le confort de visionnage du spectateur derrière elle. Le premier jour, dans la salle du soixantième, j’ai pu éviter l’évanouissement en mangeant quelques Granolas entre deux séances. Le jour suivant, ils ont été déclarés terroristogènes par la sécurité du Grand Théâtre Lumière, qui ce jour-là n’a rien trouvé de dangereux au gel hydroalcoolique qu’on m’a retiré (inflammable, monsieur, vous n’êtes pas au courant ?) le lendemain. On fouille votre sac au point de vérifier si votre paquet de mouchoir en papier ne contiendrait pas d’arme de destruction massive au point aussi de retrouver ma télécommande de powerpoint, merci madame, non ce n’est pas pour attaquer des gens, mais j’en aurai bien l’usage en rentrant.
Plusieurs fois par jour, je suis le cauchemar de la sécurité. Mon sac a cinq tirettes et autant de recoins insondables, et je sonne à chaque fois à cause de ma ceinture. Je l’aurais bien enlevée, mais puisqu’on m’a kidnappé mes Granola et que je ne me nourris que d’expressos depuis une semaine, j’ai bien peur que mon pantalon tombe avec, ce qui me ferait enfreindre un autre type de règle, la « tenue correcte exigée ».
Un réflexe stupide pourrait vous conduire à faire remarquer au service d’ordre quelques contradictions. Que la veille, votre hygiène des mains n’avait pas de vertu pyromane, ou qu’un Granola aurait plutôt tendance à contribuer à la paix dans le monde.
Grave erreur.
Parce qu’après la dame qui fouille, il y a le type qui vous met en croix et vous scanne. Et lui, c’est pas un commode. J’essaie bien à chaque projection de l’éviter dans la file d’à côté, mais je finis toujours par passer entre ses mains. Et lui, sa mâchoire carrée l’affirme clairement, il décide si tu passes ou pas. Le premier jour, quand j’ai parlé, il m’a donné l’occasion de voir tout un tas de gens défiler et courir sur les marches pour prendre les meilleures places. Depuis, je lui souris.
Les séances du jour :
Les Proies
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n pleine guerre de Sécession, dans le Sud profond, les pensionnaires d’un internat de jeunes filles recueillent un soldat blessé du camp adverse. Alors qu’elles lui offrent refuge et pansent ses plaies, l’atmosphère se charge de tensions sexuelles et de dangereuses rivalités éclatent. Jusqu’à ce que des événements inattendus ne fassent voler en éclats interdits et tabous.
Sofia Coppola a vu grand, à double titre. Par son casting, tout désigné pour défiler sous les crépitements du tapis rouge, mais aussi et surtout en s’adressant à un public cinéphile qui aura dans sa majorité vu la pépite vénéneuse qu’est l’original The Beguilded, réalisé par Don Siegel en 1971.
Pour les néophytes, cette version 2017 sera probablement une bonne surprise : si le film met un peu de temps à se mettre en place, la gradation vers la comédie grinçante est assez efficace, et deux scènes de repas ont provoqué des rires francs du Grand Théâtre des Lumières. Les comédiennes sont ravissantes et vibrantes à souhait, l’ambiance du Sud un peu plaquée dans un montage alternant scène d’intérieur/arbres luxuriants dans la brume de façon trop mécanique.
L’ensemble est séduisant, mais la copie reste assez pâle : on cherche une vigueur, une acidité se diluant dans cette jolie photographie qui accroît ce sentiment d’une version correcte, mais finalement assez scolaire.
Nothingwood
(Quinzaine des Réalisateurs)
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]À[/mks_dropcap] une centaine de kilomètres de Kaboul, Salim Shaheen, l’acteur-réalisateur-producteur le plus populaire et prolifique d’Afghanistan, est venu projeter quelques-uns de ses 110 films et tourner le 111e au passage. Ce voyage dans lequel il a entraîné sa bande de comédiens, tous plus excentriques et incontrôlables les uns que les autres, est l’occasion de faire la connaissance de cet amoureux du cinéma, qui fabrique sans relâche des films de série Z dans un pays en guerre depuis plus de trente ans. Nothingwood livre le récit d’une vie passée à accomplir un rêve d’enfant.
Attention pépite brute ! La réussite de Nothingwood tient évidemment en premier lieu à son sujet : un homme hors pair, d’un charisme ravageur, entouré de comédiens aussi dingues que passionnés. C’est aussi une incursion dans le cinéma de série Z, aussi hilarant que kitsch, et ses conditions de tournage, totalement improvisées et encore plus drôles que le produit fini. La salle du théâtre de la Croisette a ri à gorge déployée devant le culot d’un réalisateur qui filme à balle réelles, fait figurer des ânes de passage et invente sa vie en fonction de la personne à laquelle il s’adresse. La réalisatrice Sonia Kronlund, quelque fois à l’écran, suit ce personnage avec presque autant de sang-froid que lui, et a admis à l’issue de la séance s’être laissée porter dans une aventure où il était rigoureusement impossible de planifier quoi que ce soit à l’avance.
Mais le rire de la salle était aussi à prendre dans une dimension plus noble : un partage avec les armes de cette communauté qui combat un pays ravagé par la guerre, et auquel ils apportent sourire et rêve.
Rodin
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]À[/mks_dropcap] Paris, en 1880, Auguste Rodin reçoit enfin à 40 ans sa première commande de l’Etat : ce sera La Porte de L’Enfer composée de figurines dont certaines feront sa gloire comme le Baiser et le Penseur.
Il partage sa vie avec Rose, sa compagne de toujours, lorsqu’il rencontre la jeune Camille Claudel, son élève la plus douée qui devient vite son assistante, puis sa maîtresse. Dix ans de passion, mais également dix ans d’admiration commune et de complicité.
Après leur rupture, Rodin poursuit son travail avec acharnement.
Doillon navigue entre deux tendances assez contradictoires : la première, heureusement majoritaire, fait la part belle à un anti-biopic organisé en séquences amples dans lesquelles on traque les signes du génie et les affres de la création. Lindon est parfait, habité et vivant par ses mains, son regard furtif sur les êtres autour de lui qu’il résume aux courbes de son œuvre à venir. Le duo avec Izia Higelin est d’une grande justesse, surtout dans les jours heureux de leur couple où deux génies sont conscients de leur grandeur et de leur complicité. La photo est superbe, le travail sur les couleurs froides de la matière opposée aux corps des modèles assez fascinant.
Était-il alors nécessaire d’ajouter toute cette dimension historique et contextuelle ? Le défilé des sommités de l’époque, les citations constantes des critiques sur le travail de Rodin aboutissent à un name dropping assez pénible et viennent statufier tout ce qui était très réussi d’autre part.
Une femme douce
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]U[/mks_dropcap]n jour, une femme reçoit le colis qu’elle a envoyé quelques temps plus tôt à son mari incarcéré. Inquiète et profondément désemparée elle décide de se rendre à la prison, dans une région reculée de Russie, afin d’obtenir des informations. Ainsi commence l’histoire d’un voyage semé d’humiliations et de violence, l’histoire d’une bataille absurde contre une forteresse impénétrable.
Ami cinéphile, veux-tu déprimer ? Ce film de 2h30 par l’ukrainien Loznitsa est fait pour toi. Tu y verras comment la Russie est un pays terrible, dans lequel tous les passants, les passagers de bus ou de train, les chauffeurs de taxis, les gardiens de prison, les guichetières de la poste et plus si affinités s’accordent à en témoigner et faire souffrir leur congénères.
Le dispositif de mise en scène, assez intéressant au départ, s’organise de façon systématique : un lieu, un plan séquence, et des personnages secondaires autour de la jeune femme éponyme, qui organisent cette odyssée du pire.
On a cependant du mal à comprendre où on nous emmène, et les voyages de Cosette au pays de Kafka dérivent vers une fable absurde et atroce qui a tout du kidnapping aussi malsain que gratuit. Fortement déplaisant.
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