Dissipons tout malentendu d’entrée : non, Cassegrain n’est pas qu’une marque de légumineuses en conserve dont le lagomorphe à longue-vues fumées orne fièrement chaque boîte. Pas que. C’est aussi un duo Berlinois, pratiquant depuis 2011 une musique dont le point commun avec la marque pré-citée est qu’elle ne s’écoute qu’en boîte (Veuillez excuser l’auteur de cette vanne capillotractée, prévisible et franchement mauvaise, la honte et l’opprobre le submergent et l’étouffent). De là à dire que Cassegrain pratique une techno commerciale, idiote, débitée au kms pour des boîtes de laids qu’ont dansé, il n’y a qu’un pas (de danse) que je ne franchirai pas (veuillez…).
Sérieusement : Cassegrain, après avoir publié sept EPs ces trois dernières années (dont l’excellent Tiamat), sort, avec Centres Of Distraction, son premier album. Dire qu’il était attendu au tournant serait un poil exagéré mais ceux qui, comme moi, ont été fascinés par certains de leurs Eps, le guettait du coin de l’oeil.
Bonne nouvelle : l’album ne déçoit pas. Le duo vient de Berlin et fait de l’électro. Qui dit Berlin dit Techno, Minimal Techno et Dub. Cassegrain ne déroge pas à la règle et pratique ce qui est l’essence même du son Berlinois. A savoir une Techno très inspirée par le son des années 90 et notamment des labels Basic Channel ou encore Chain Reaction (créés tous deux par les géniaux Moritz Von Oswald et Mark Ernestus) ainsi que de la Techno malsaine, froide et sombre de Plastikman (plus particulièrement le Plastikman de Consumed, chef-d’œuvre de techno progressive et hypnotique).
L’album navigue constamment dans ces eaux troubles, entre progressif et coups de boutoir, World (New Hexagon) et musique concrète (le violoncelle malsain de Nikos Veliotis sur Empress Cut In Segments), Techno pure et ambient (Glasshouse), dub et experimental, ombre et lumière et se permet même quelques œillades vers la techno hédoniste d’Underworld (Scythian). Malgré cela, malgré toutes ces références qui pourraient écraser le groupe et n’en faire qu’un disque Minimal Techno de plus sans intérêt, l’album est idéalement dosé pour accrocher le novice (qui aura probablement envie de creuser un peu plus pour découvrir une discographie riche et passionnante dans ce style) et se démarque suffisamment des dernières productions du genre (Echospace et consorts) pour contenter le passionné qui, lui, sera en terrain connu, conquis, et trouvera en Centres Of Distraction un disque qui ne révolutionnera pas le genre mais d’une consistance plus que satisfaisante.
Cela grâce à une accessibilité étonnante, un sens mélodique qui accroche immédiatement l’oreille, un travail sur les textures sonores impressionnant et ce en dépit d’une noirceur et d’un aspect claustrophobique évidents. En fait, le talent du duo réside, outre les qualités musicales évoquées précédemment, dans le fait de ne pas étouffer complètement l’auditeur, lui laisser croire qu’il y a une lumière au bout du tunnel. Sauf que : si lumière il y a, celle-ci est chétive, défaillante tout au long du tunnel. Parce qu’arrivé au terme du trip,ce n’est ni dans la lumière, ni dans la noirceur que vous finissez mais dans les sables mouvants de l’IDM, coincé quelque part sur les terres glaciales d’Autechre période Amber.
Plutôt impressionnant et inattendu de la part d’un album de genre sensé ne pas sortir des sentiers balisés et rassurants de la Minimal Techno. Et aussi belle porte d’entrée pour les novices ou les réfractaires à ce genre. Et accessoirement, un des meilleurs albums de l’année en électro et autres genres apparentés. Et même au-delà.
Sortie le 20 novembre chez Prologue, dispo un peu partout sur le net (juno, discogs) et sur le bandcamp du label.