[dropcap]P[/dropcap]ourquoi sommes-nous si nombreux à avoir aimé la mini-série Chernobyl produite par HBO ?
La prise avec le réel pour une œuvre de fiction n’est pas un exercice facile. Ici, il ne s’agissait pas de romancer une des plus grandes catastrophes industrielles du XXe siècle, ni d’en faire une documentation froide tournée vers la réalité.
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Le visage reconnaissable de Jared Harris dans le rôle de Valeri Legassov, un des membres de l’équipe en charge de la gestion de la catastrophe, aux côtés de l’impressionnant Stellan Skarsgård, implacable Boris Chtcherbina, vice-président du Conseil des ministres, en charge de la commission Tchernobyl. Deux comédiens chevronnés aux statures de piliers du récit de la catastrophe planétaire.
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Craig Mazin, le créateur de cette mini-série, a opté pour un équilibre quasiment parfait entre fiction et vérité. Les effets de narration et le rythme de son déploiement créent une véritable énigme ; l’exotisme terrible de cette région sinistrée et la notion de sacrifice civil comme militaire enferme l’histoire dans une tension permanente ; le travail des personnages et le réalisme avec lequel ils sont rendus est un pur plaisir.
Alors, évidemment, l’immédiate réflexion faite à la vision des premières minutes peut concerner la langue anglaise, l’aspect fiction par la lorgnette de l’ouest en quelque sorte. Mais cette pensée peut aussitôt être raisonnée par une évidence : comment penser une fiction russe honnête à propos de Tchernobyl ?
Malgré le sujet si délicat, qui se trouve être un traumatisme planétaire pour tous ceux qui ont appris au fur et à mesure l’amplitude et la gravité des conséquences de cet accident nucléaire sur la totalité de la population, voilà le récit humanisé de ceux qui ont lutté face à un désastre qui devait précipiter la fin d’une ère, d’un bloc que l’on avait cru à l’épreuve de tout. L’histoire proche des premières victimes, et par extension la nôtre.
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Emily Watson dans le rôle d’Ulana Khomyuk, seule véritable création de personnage, représentant la parole de tous les scientifiques qui ont travaillé sur la catastrophe pour en connaître les causes réelles, ses dommages et répercussions sur le vivant. Le regard clair d’une femme empathique et scientifique pour représenter la difficulté de se faire entendre malgré une parole rationnelle.
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Car elle est le révélateur de l’incrédulité grandissante face à la taille des mensonges, erreurs, manipulations auxquels nous avons été tous exposés.
Et voilà sûrement la composante secondaire du succès gigantesque de la série. Non seulement elle a été extrêmement bien écrite, superbement interprétée dans des décors plus réalistes les uns que les autres, le tout sans sentir la simple reconstitution historique, mais elle concentre à elle seule toute la défiance existante quant aux autorités qui nous désinforment, qui orientent les discours selon leurs seuls besoins, en risquant même l’existence de ceux qu’elles sont présumées protéger. En cristallisant la capacité des puissants à sacrifier le peuple par le mensonge, Chernobyl ne laisse aucune chance à l’espoir en augmentant encore la charge par la lecture de l’inertie d’un appareil russe indigent.
Alors forcément, en Russie ça a un peu fâché, et la contre-attaque ne tardera pas à voir le jour, sous la forme d’une réécriture soi-disant plus exacte de l’événement, sûrement orchestré par les services secrets américains.
La guerre froide a donc de beaux jours devant « nous ».
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Chernobyl
de Craig Mazin
2019 – 5 épisodes
Produit par HBO, disponible sur OCS
Avec Emily Watson, Jared Harris, Stellan Skarsgård…
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