Les choix de Catherine
L’inconnu de la poste – Florence Aubenas
Paru chez Éditions de l’olivier, février 2021
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Gérald Thomassin, ce nom vous dit-il quelque chose ? En 1990, il tient le rôle principal dans le film de Jacques Doillon Le petit criminel, rôle qui lui vaut le César du meilleur espoir masculin. En août 2019, Florence Aubenas travaille depuis plusieurs années à un livre sur le meurtre de Catherine Burgod, assassinée en décembre 2008 de 28 coups de couteau dans le petit bureau de poste où elle travaillait, à Montréal-la-Cluse, dans le Haut Bugey. Et le suspect numéro 1 n’est autre que… Gérald Thomassin. La journaliste a rendez-vous avec lui à Lyon, où il se rend pour une confrontation importante. Il ne viendra pas à ce rendez-vous-là, ni à aucun autre après cette date. Disparu, évaporé. L’enquête de la journaliste a vite pris une tournure singulière : les investigations piétinent, les enquêteurs suivent des pistes qui les mènent à des impasses. Le fait divers s’est transformé en une enquête de terrain, une observation de la région où s’est déroulé le drame, une exploration de la personnalité de la victime, et surtout, un portrait de Gérald Thomassin, acteur solitaire, déraciné, paumé dans un monde qui n’est pas fait pour lui, qui ne le comprend pas et qu’il ne comprend pas. On a souvent dit que ce livre se lisait comme un polar, et c’est vrai. Il se lit surtout comme une enquête en profondeur, une immersion troublante de l’auteur au cœur du fait divers et de ses protagonistes.
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Fatal Baby – Nicolas Jaillet
Paru chez La Manufacture de Livres, juin 2021
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Avec sa couverture acidulée, le Fatal baby de Nicolas Jaillet fait penser à un de ces sorbets qu’on s’offre quand il fait bien chaud, non sans une certaine culpabilité. Mais prenez garde, l’homme a plus d’un tour dans son sac. Celles et ceux qui ont lu Mauvaise graine, paru l’an dernier à la Manufacture de livres, reconnaîtront en une des deux super-héroïnes de Fatal baby la Julie à qui il arrivait une mésaventure hallucinante. Celles et ceux qui ne l’ont pas lu se plongeront d’emblée dans une cavale où Julie et sa fille Léa, deux mois au moment où l’histoire commence, parcourent le monde par tous les moyens de transport possibles et imaginables, armées jusqu’aux dents, pour échapper aux Grands Méchants de l’industrie pharmaceutique qui ne veulent qu’une chose : s’emparer du bébé. Il faut dire que ce bébé-là n’est pas ordinaire : elle peut, par exemple, déplacer des objets par sa seule volonté. Et aussi semer la panique autour d’elle à la seule force de sa voix. Julie croit être à l’abri dans la campagne canadienne, isolée au milieu de la neige dans une maison peuplée de personnages aussi extravagants que charmeurs. Elle a tort… Le répit ne durera pas, les scènes de fuite succéderont aux scènes de combat, et le lecteur, épuisé, ne résistera pas au charme des deux héroïnes et à l’humanité qu’elles incarnent toutes les deux. Énergique, drôle et émouvant.
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Le choix de GringoPimento
Les Ombres – Wojciech Chmielarz traduit par Caroline Raszka-Dewez
Paru chez Agullo, avril 2021
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Pas de lumière ni de rédemption pour le Kub dans le dernier tome proposé par Wojciech Chmielarz : Les Ombres. Du noir, rien que du noir, toujours du noir. La police polonaise passé au crible. Un lobbyiste sur la selette, des viols, des meurtres, des inspecteurs qui tentent de sauver leur peau.
L’auteur centrait habituellement ses intrigues sur le Kube. Ici grand changement, il n’apparait que peu durant les deux tiers du roman, cédant sa place à l’inspecteur Kochan, au grand truand Borzestowski ou encore à la Sèche.
Chmielarz conclut en beauté, si l’on peut dire, sa série. Ce dernier tome se dévore avec avidité mais aussi avec le coeur nauséeux tant certaines scènes nous révulsent.
Le Kube, lui, droit dans ses bottes, ne s’en soucie pas. Il continue sa mission et va jusqu’au bout de ses convictions. Pas ou peu de place pour l’humain. La justice avant tout.
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Le choix d’Adrien
Les Bâtardes – Arelis Uribe traduit par Marianne Millon
Paru chez Quidam, mars 2021
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Dans le recueil Les Bâtardes d’Arelis Uribe, nous avons un aperçu d’une génération de jeunes femmes et jeunes filles du Chili. Toutes sont issues de classes populaires, peu habituées aux lumières de la littérature. Dans un style concis et juste, la jeune autrice chilienne démontrent d’un art du récit. Elles racontent la marginalité et celles qui deviendront les féministes d’aujourd’hui. Chaque narratrice raconte le quotidien dans un Chili enlisé dans les crises. Ces femmes et filles ont impulsés les récents mouvements sociaux qui résonnent encore partout dans le monde.
Arelis Uribe met en avant les oubliées du Chili. Les nouvelles de ce recueil sont des traces de vie à la marge, que la littérature bourgeoise a toujours voulu faire masquer. L’autrice les raconte avec la plus grande bienveillance et s’inscrit dans une nouvelle sagesse, que certains réactionnaires appelleront bien-pensance. Mais Arelis Uribe possède déjà le talent affuté pour bâtir des fictions solides comme des remparts contre la violence du monde.
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Le choix de Cécile
Terra Alta – Javier Cercas traduit par Nom du traducteur
Paru chez Actes Sud, Mai 2021
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Quand un maître de la littérature, dont toute l’œuvre tient en équilibre sur la frontière entre fiction et réalité, passe soudainement au polar, forcément, cela interpelle ! Pour cette première tentative, Javier Cercas adopte résolument les codes du genre mais nous livre une double enquête truffée de ses irréductibles obsessions. En ouverture, une scène digne d’un Ellroy, toute de viscères et d’hémoglobine répandues. C’est l’assassinat d’un couple d’industriels en Terra Alta, une région pauvre où, aux dires de tous et de la police elle-même, « il ne se passe jamais rien ». Riches, membres de l’Opus Dei, capitalistes exploiteurs, les mobiles ne manquent pas. Sauf que, très vite, l’enquête piétine. Place alors à la seconde traque, celle que mène en parallèle le très attachant, Melchor Marín, un flic au passé sulfureux et lecteur obsessionnel des « Misérables », pour retrouver l’assassin de sa mère. Une construction qui pourrait sembler classique, si le rusé Cercas ne nous invitait pas, en tant que lecteur, à faire l’autre moitié du livre. Peut-être pour nous faire toucher du doigt qu’une troisième enquête, la plus importante, reste définitivement ouverte, celle d’un écrivain/journaliste qui aura tout tenté pour aider l’Espagne à regarder son passé en face, qui sait qu’ici « tout s’explique par la guerre », et qui ne peut plus méconnaître que la recherche de la vérité est éreintante, souvent déstabilisante et in fine sans doute illusoire.
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