[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]atin pluvieux, c’est un prétexte idéal pour traverser le jardin des Tuileries, saluer la Tour Eiffel embrumée et découvrir au Musée de l’Orangerie l’exposition Dada Africa : sources et influences extra-occidentales qui a ouvert ses portes il y a quelques temps (et pour laquelle je vous conseille de réserver vos billets).
Le mouvement Dada est un courant artistique très riche et subversif, né à Zurich pendant la Première Guerre Mondiale qui a connu plusieurs lieux phares d’expression : Berlin, Paris, New York… Les artistes dadaïstes rejettent les valeurs traditionnelles de la civilisation, utilisent des moyens d’expression pluridisciplinaires : collages, performances, poésie, tout en s’appropriant les formes culturelles et artistiques de cultures extra-occidentales, l’Afrique, l’Océanie et l’Amérique. Son nom trouverait son origine dans une page de Larousse, un mot choisi au hasard donc et qui fleurit sur les revues, jusqu’à donner lieu à la Dada Messe, grand messe Dada à Berlin en 1920.
Avec cette exposition, nous sommes invités à découvrir les liens entre œuvres africaines, amérindiennes et asiatiques et celles, dadaïstes, de Hanna Höch, de Jean Arp, de Sophie Taeuber-Arp, de Marcel Janco, de Hugo Ball, de Tristan Tzara, de Raoul Haussmann, de Man Ray, de Picabia…
Dès l’entrée, nous apprenons que les intellectuels et artistes de l’époque se tournent vers des œuvres d’art issues de cultures dites « barbares » ou « archaïques » en opposition aux conventions académiques.
Il s’agit d’une véritable révolution, un refus des conventions établies, faites pour les bourgeois, une explosion de liberté. Les masques africains deviennent ainsi objets de collection, ils sont recherchés (sans que leurs auteurs ne soient connus évidemment). D’objets usuels ou sacrés, ils deviennent œuvres d’art.
C’est nouveau, les artistes s’y intéressent, et pour ouvrir ce mouvement (européen) ils organisent au Cabaret Voltaire (à Berlin) des folles soirées Dada, immortalisées en peinture par Marcel Janco (d’origine roumaine). S’y succèdent des performances où les artistes sont masqués ou costumés – avec des accessoires de leur fabrication, librement inspirés de masques « extra-occidentaux » comme l’indique le sous-titre de l’exposition, ingénieux et provocateurs : bouts de masque à gaz détourné, culture d’un certain « mauvais goût » – des lectures de poèmes phonétiques et expérimentaux, dans le but de célébrer « l’art nègre ».
Malgré cette appellation, la volonté des artistes Dada est de mettre en avant l’art africain, amérindien, océanien. Nous sommes au cœur de la Grande Guerre et le milieu artistique explore alors le monde dans la limite de ses possibilités. C’est en 1920 que Tristan Tzara (poète d’avant-garde, essayiste et artiste de performance, également actif en tant que journaliste, dramaturge, critique d’art, littéraire, compositeur et réalisateur) et signataire du Manifeste Dada en 1918, exporte le mouvement à Paris.
L’une des figures de l’évolution du Dadaïsme et de sa rencontre avec les arts dits « archaïques » est Paul Guillaume, protégé d’Apollinaire, et passionné d’art africain. Grâce au poète, Paul Guillaume développe son commerce de marchand d’arts et diffuse en Europe des objets, masques et statues venues d’Afrique.
Après un poème sonore, un costume ivoirien orné de son masque zoomorphe, les collages de Hannah Höch sont percutants. Elle travaille à partir de découpages de lettres de soldats envoyées à leurs familles, mais aussi – sur la série présentée – à partir de magazines de mode et de reproductions de catalogues d’art, et propose ainsi des critiques à l’encontre de l’époque. L’exposition propose d’avancer chronologiquement dans ce tourbillon Dada, de ses prémices au début du XXème siècle à son apogée, et au courant qui le suivra : le Surréalisme. On découvre quelques portraits réalisés par Man Ray notamment et le très beau tableau de Max Ernst « La nature à l’Aurore » qui saisit en fin de visite.
Dada Africa : sources et influences extra-occidentales
Exposition du 18 octobre 2017 au 19 février 2018