Souvenez-vous : Mars 2012, un quasi inconnu, membre du groupe Stoner Pearls & Brass, sort son premier album solo All Hell. Les rares à avoir posé une oreille dessus sont unanimes : ovni musical quelque part entre Paul Quinn et Scott Walker, blues, pop et trip hop. Daughn Gibson, puisque c’est de lui dont il s’agit, vient d’entrer dans le club très restreint des losers à voix d’or voués, malheureusement, au succès éphémère et surtout à l’anonymat le plus complet.
Ce mois-ci on y accueille un nouveau membre en la personne de Daniel Knox. Ce (presque) parfait inconnu, Américain, sort son troisième album ces jours-ci, le premier pour le label indépendant Carrot Top et l’un des plus singuliers de ce début d’année. Pour ceux qui iront chercher sur le net quelques renseignements à son propos, ils s’apercevront que l’étrangeté, la bizarrerie semblent être chez lui une norme : de par ses collaborations antérieures (Jarvis Cocker, David Lynch entre autre) et surtout avec ses précédents albums. L’un bricolé et lo-fi, mettant plus en lumière l’aspect cinématographique de sa musique que sa voix, minimaliste, ambitieux, un peu barré et passionnant de bout en bout (Disaster). L’autre, plus « normal » dans lequel il met en avant son amour pour le cabaret façon Bertolt Bretch ou les ambiances de fin de soirée à la Tom Waits et pour lequel sa voix fait des étincelles (Evryman For Himself). Son nouvel album, éponyme, le voit diversifier les ambiances et faire montre d’une ambition plus grande. Là c’est Sinatra revu par Daughn Gibson sous l’égide de Badalamenti (le scotchant Blue Car), ailleurs Neil Hannon se prenant pour Tom Waits (Don’t Touch Me) ou sortant des inédits de Promenade et Liberation ( By The Venture ou Car Blue), un peu plus loin c’est le blues élégant de Richard Hawley revisité par l’électro du Separations de Pulp qui fait mouche. Mais là où Knox excelle, c’est dans la ballade jazzy orchestrale à deux de tension, pas loin d’un Borhen, notamment sur High Pointe Drive et David Charmichael, sidérants de beauté.
Mais bon, comme je l’expliquais en introduction, cet album serait différent (et Daniel Knox n’aurait pas le droit de citer dans le club très fermé des losers magnifiques) s’il n’y avait cette voix, grave, profonde, habitée, mélange de Scott Walker, Paul Quinn, qui vous remue les tripes dès qu’il émet la moindre note. Un organe à tomber en pâmoison, le truc à vous faire hurler d’extase comme aux plus belles heures de Sinatra. Si en sus vous ajoutez une bonne dose d’humour ( sur 14 15 111, son you can’t win if you didn’t begin, en plus d’être drôle, se relève être un bel hommage aux comédies musicales) voire d’auto-dérision (son portrait en guise de pochette d’album ne le met pas spécialement en valeur, avouons-le ) ainsi qu’une certaine habileté à jouer avec les clichés ( You Can’t Win, chanté de façon habitée sur Blue Car, est une belle référence à tous les crooners/losers retournés dans l’anonymat le plus honteux), vous obtiendrez un ovni musical à côté duquel il serait dommage de passer.
Après seul le temps nous dira si Daniel Knox finira sous un pont mais adulé par une poignée d’allumés qui auront atteint le nirvana musical avec ce disque ou si son album éponyme n’est qu’une étape vers une gloire qui pourrait bien lui tendre les bras d’ici quelques années. Pour son bien, on espère la seconde solution mais quand on écoute l’univers développé depuis Disaster, celui-ci pourrait bien être une parenthèse enchantée dans une carrière qui s’annonce aussi obscure que passionnante.
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Sorti depuis le 24 février dernier, dispo chez tous les disquaires de France au rayon ovni/crooners