[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]’aurais pu être poète américain en résidence d’écriture à Madrid, mais je suis poète parisien en week-end à Tours. Cela n’a rien à voir, et pourtant.
Ton copain et toi m’hébergez pour quatre jours. Les deux premiers, je suis seul, vous travaillez, alors j’erre. Et je lis. Et j’écris. Mais surtout je lis ce livre d’une extrême drôlerie. Jamais personnage ne m’était paru aussi filou et d’une tartufferie à ce point prononcée, mythomane génial, anxieux pathétique, artiste égomaniaque.
Bref, jamais un personnage ne m’avait autant ressemblé.
Il est à Madrid pour écrire mais il n’écrit pas, il fume, prend des médocs, drague plusieurs filles à la fois et ne comprend toujours pas qu’on s’intéresse à lui.
Je suis chez toi pour te voir mais je ne te vois pas. Et quand je te vois, je te perds. Qu’attends-je exactement de toi ? Que nous revenions cinq ans en arrière, au moment où sur un canapé devant un DVD je n’ai pas su t’embrasser ? Le temps a filé et tu as, comme on dit, fait ta vie.
J’ai toujours du mal à comprendre les femmes qui construisent leur avenir sans moi. Je ne peux m’empêcher de penser qu’elles ne savent pas ce qu’elles font, qu’elles passent à côté de leur vie. J’ai vingt-neuf ans et je pense ça d’une bonne trentaine de filles. Elles ne savent pas ce qu’elles perdent. Pourtant, je n’arrête pas de le leur expliquer. Ça les fait rire. Je suis un beau parleur, un idéaliste, un grand enfant qui veut toutes les épouser.
Et pourtant je leur écris des poèmes !
Et pourtant je leur écris des livres !
Et elles continuent à fuir.
Non, vraiment, je ne comprends pas.
Pourquoi moi ? Pourquoi pas l’autre et pourquoi pas c’lui là ? On se demande bien parfois, n’est-ce pas ? Et Jeanne Moreau qui dit J’aime bien partager le désir des autres… Tu m’étonnes.
À demain.
Au départ d’Atocha, de Ben Lerner, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jakuta Alikavazovic, paru aux Éditions de l’Olivier