[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]e t’ai apportée des clémentines. Ce n’était pas Noël. Tu n’étais pas en prison non plus, même si tu étais contrainte à rester assise sur ta chaise, derrière la pile de livres que tu étais venue dédicacer. Moi, maton docile, maton matou, je t’apporte des clémentines. Café ? Toi, tu attends le lecteur, le chaland, la personne qui discutera avec toi et, peut-être, te demandera une dédicace. Moi, je fais en sorte que tout se passe bien, que tu ne manques de rien. Je ne te connaissais pas et comme ta voisine de dédicace n’avait pas l’air bien sympathique, tu t’ennuyais un peu. Alors je me suis intéressé à toi, à ton livre. Par politesse, par professionnalisme aussi. Pourtant, je sentais grandir quelque chose que je ne maîtriserai pas bien longtemps. Alors j’ai préféré m’éclipser, en te promettant de lire ton livre et de t’en faire un retour.
Je l’ai donc lu. Et j’ai entendu la voix qui me manquait. Je n’étais jamais tombé amoureux d’un(e) écrivain. Il y a ceux qu’on admire bien sûr, dont on se sent proche par l’esprit, voisin, cousin, frère, que sais-je encore, mais tomber amoureux, comme ça, de but en blanc, cela ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Certes, le fait que nous nous soyons rencontrés au préalable a certainement influé sur cette alchimie, mais ton écriture avant tout.
Viens plus près encore. Je peux pas te parler si tu vois pas mes cernes, si tu ne touches pas mon ventre. Je veux que tu connaisses mon âge. Je veux que tu saches le pli dans mon dos. Ça te va bien d’être assise sur mon drap. Je veux que tu dises rien. Je veux que tu ne répètes pas. Viens plus près. Enlève ton jean. Je peux pas te parler si t’es pas nue, mais tu auras raison de rire tout à l’heure, quand tu te souviendras de moi. Je suis tombé amoureux d’une femme qu’est pas ma femme, et je te demande de ne pas lui dire. Tout à l’heure, quand tu partiras, parce que tu vas te lever, puis tu vas partir. Tu auras raison d’en sourire. Je te demande ça aussi.
Nous nous sommes revus quelques fois, je t’ai même interviewée. Il semblerait que j’étais un peu le seul dans mon état et, si tu t’en es aperçu, tu as été très discrète. Peut-être que la situation t’amusait un peu. C’est toujours plaisant de plaire, charmant d’être charmé. Désormais, tu es dans ma bibliothèque, et je t’y garde précieusement comme le ferait un maton matou.
Je ne sais pas si cela t’es déjà arrivé de parcourir un lieu, une ville, en ayant l’espoir de tomber nez à nez avec la personne désirée. Un peu en la cherchant des yeux, mais sans trop y croire. Faire semblant d’être étonné.
À demain.
Polaroïds, de Marie Richeux, chez Sabine Wespieser