Je ne sais même pas si tu as fini par le lire. C’était il y a plus d’un an, je t’attendais place de la Nation, sur un banc, au soleil, et patientais en lisant ce livre. Si tout n’a pas péri avec mon innocence, quel titre. Et le choix de la photographie de couverture n’est pas totalement étranger à ce qui va suivre : on y voit le buste d’une jeune fille tenant dans ses mains un bocal enfermant un papillon. Ce papillon pourrait être la sexualité, ou la liberté, délibérément mise en quarantaine. Tu es arrivée, j’ai refermé le livre et je t’ai dit : « Tu devrais le lire, il me fait penser à toi ». Tu avais l’air étonné qu’un livre me fasse penser à toi, peut-être intriguée, tu as tenté de me faire argumenter, mais je n’en étais qu’au début et je ne voulais pas trop me mouiller. Alors je n’ai rien dit.
Kimberley, ou Kim, à l’âge de neuf ans, décide de sa seconde naissance, à savoir : s’affranchir de l’autorité parentale, découvrir le monde par elle-même, se faire un avis sur tout, et goûter aux joies et aux dangers de la vie. Inévitablement, il y sera question de la découverte de la sexualité de cette jeune femme dont on va suivre le parcours jusqu’au début de l’âge adulte. Sexualité floue, tantôt amoureuse de sa prof de natation, puis d’un garçon avec qui elle aura à cœur d’essayer toutes les possibilités que peuvent offrir deux corps, un peu plus tard elle se prostituera avant de tomber généreusement amoureuse d’une jeune femme noire envoûtante. Décontractée avec la chose, elle sera néanmoins toujours relativement distante des sentiments et de l’amour : pour elle, la vie est un terrain d’expérimentations, rien d’autre.
Côté famille, ses parents l’exaspèrent et seuls ses frères paraissent être dignes de confiance. Une tête forte, une âme brûlée, une comète que rien n’arrête et qui aura toujours dans un coin de sa tête un panthéon d’auteurs, poètes, auxquels se raccrocher.
Je t’ai reconnue dans nombreux de ces comportements, tu as toujours été pour moi un mystère et ce livre m’a peut-être aidé à te comprendre. J’ai souvent pensé être le centre de ton monde et je me suis rendu compte qu’un individu en construction était son propre centre et que ses rencontres, son entourage, n’étaient que des terrains de jeux pour se découvrir, tester ses limites, savoir réellement qui on est. On s’appuie sur les autres, mais on ne peut compter que sur soi ?
Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre, laissons-nous le temps et n’hasardons jamais de réponses hâtives.
Chaque jour abreuvé à l’illusion des toujours, cela a toujours été mon cas, jeune amoureux naïf et utopique : souvent aveuglé, me voilant la face, et ne voulant pas voir ni comprendre ce dont l’autre avait besoin et envie. Mais jamais je ne pourrai dire que je n’ai rien gardé de l’hirondelle du faubourg.
À demain.
Si tout n’a pas péri avec mon innocence, d’Emmanuelle Bayamack-Tam, disponible en Folio.