« Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style »
(Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet, du vendredi 16 Juin 1852)
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#eaa141″]L[/mks_dropcap]e parallèle avec cette idée de l’écrivain français peut s’appliquer bien évidemment à cet intriguant petit livre d’un non moins intriguant L.N. Petrov. De son nom entier Lev Nicolaïevitch Petrov-Blanc, on sait seulement qu’il est né à Gorki en 1964 et qu’il meurt en 2003, à Saint-Pétersbourg. Dans le passage, un pope (dans sa version originale Passage Le pope, tentative) est écrit une année avant sa mort. Ce n’est pas un livre sur rien comme le voulait Flaubert. Cette vue idéaliste de l’illustre écrivain français parait irréalisable. Mais Petrov arrive à fabriquer un livre où l’histoire surgit à travers le style, comme on ouvrirait un fruit pour y récupérer le noyau.
Nous sommes donc dans un passage, dans une ville qui doit être Moscou, car elle n’est nommée à aucun moment. Il y a dans la ville un passage bordé de multiples commerces. Ce passage est surtout peuplé de personnages quasi allégoriques. Pas d’erreur, nous sommes bien en Russie : la vieille bigote, l’unijambiste, des soldats revenant d’on ne sait quelle guerre, etc. Tous ces personnages, on les voit comme à travers une loupe, de bien trop près pour leur donner un visage. Seule nous reste la présence de ce Pope, silhouette haute avec son habit noir, glissant des citations littéraires à l’oreille de la vieille. C’est à partir de ce personnage que la fiction va venir. Petrov fait des descriptions minutieuses, finalement trop précises pour que l’on se fasse une image stable de ce qui nous est décrit.
Le texte profite ainsi d’une mise en page mettant en place un aspect patchwork. Il se constitue d’éclairage sur ce paysage urbain et sur les personnages, plus ou moins bref, entrecoupé par une recette de cuisine ou autres extraits de dictionnaire. On ne peut pas parler de cut-up, car le texte nous permet de voir un assemblage de décors où peut se glisser une fiction, comme l’éditeur décrivant le texte en un « documentaire métaphysique ». Le décor prédomine la fiction, qui s’y glisse légèrement, faisant vivre l’hallucination qu’est la présence du pope.
Dans ce petit livre, le rapprochement entre la vue et la littérature est évident. « Il y a tant de vertu dans le simple fait de voir » dit le pope à l’oreille de la vieille, citant ainsi Henry David Thoreau. Cette vertu est démultipliée dans le texte, comme si la capacité d’y voir, ne se résumait pas à la description. « Voir » par les mots, c’est peut être voir au plus près, au plus profond d’un monde, celui où l’imaginaire devient un fantasme de réalité.
Dans le passage un pope de L.N. Petrov, traduit du russe par Pauline J.A. Naoumenko-Martinez paru en février 2016 aux éditions Louise Bottu