[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]a Finlande, ce pays ignoré, aux ressources insoupçonnées. Voilà ce que l’on pourrait se dire à l’écoute du nouvel album Af Ursin. Ce Classement Vertical paru cette année sur le label La Scie Dorée vous donne envie d’enfiler votre grand manteau blanc pour aller visiter cette contrée aux abords glaciaux. Toutefois, si le voyage est trop long ou trop coûteux pour vous, Af Ursin vous invite à vous installer dans votre canapé pour vous laisser emporter par son disque à la fois sombre et lumineux.
Difficile de retranscrire en détail tous les contours habités et toute la complexité de l’album, mais Af Ursin développe une musique infiniment imagée aux richesses débordantes. S’y croisent le jazz, le rock, la musique contemporaine et la musique expérimentale.
Si tout part d’un bourdonnement, bien vite les notes s’entremêlent autour d’une batterie qui lance la ronde et d’une basse à la pédale telle Lonely Woman d’Ornette Coleman qui ornemente mais colle mal. Af Ursin s’approprie son univers qui vire free-jazz alors qu’une réverbération englobe l’ensemble faisant perdre toute notion d’orchestre pour ne plus former qu’une migration sonore vers ce fameux classement vertical. En effet, de cette effusion vibratoire musicale naît une sorte de sonorité linéaire troublante qui contraste froidement avec le bouillonnement évident que l’on perçoit si l’on se positionne dans l’œil du cyclone.
Bien malin qui pourra ici tracer les évidentes influences ou les obscures références. Mingus ? Peut-être… John Cage ? Pourquoi pas… Boulez ? Si ça se trouve… Af Ursin ? Incontestablement. Car pour établir un classement, vertical ou non, il faut au moins deux choses et le second morceau explose la linéarité du premier. Cette fois, les grands espaces Finlandais sont dépeints avec justesse, tels qu’on se les imagine. La mer baltique croule sous le brouillard et le cercle arctique s’agrandit de note en note. La lenteur succède donc au bouillonnement avec des notes de piano éparses, une batterie à peine effleurée, avant que tout ne s’enchaîne à nouveau, cette fois dans un chaos qui ne sait plus où donner de la tête. Les sens s’affolent alors et le paysage échafaudé jusque-là s’écroule peu à peu comme un glacier fondant sous la pression consumériste. Le piano est martelé, les trombones s’égosillent, les vaisseliers sont déplacés avec la vaisselle encore à l’intérieur et plus rien ne tient en place. Pas de rythme, ou de structure, mais l’équilibre fragile d’un funambule sur un fil qui, les bras emplis d’instruments, de meubles et de volcans, se débat pour ne pas tomber dans le vide.
https://www.youtube.com/watch?v=6tgSlBXqcEg
Le son a été retravaillé, il s’éloigne, se rapproche, se découpe, se hache, puis revient pour l’effondrement final à l’apesanteur impérial. Car oui, tout finit par s’écrouler dans un sombre mouvement où Af Ursin donne l’impression de transvaser d’une pièce à l’autre l’intégralité de son orchestre, et de son salon sans avoir pris la précaution d’emballer le moindre objet, puis il referme furtivement la porte, de peur de prendre le tout sur le coin de la gueule. Af Ursin a juste oublié une chose : l’auditeur était dans l’autre pièce et il vient de finir enseveli sous son disque.