Premières années du soulèvement syrien. Sam Joseph, espion américain expérimenté, doit recruter et former Mariam Haddad, haute fonctionnaire du régime, détentrice d’information capitales. Après des premiers contacts à Paris et sur la Côte d’Azur, l’impensable survient : un coup de foudre qu’interdisent règlements et précautions élémentaires de sécurité. Tous deux doivent découvrir les responsables de la mort d’une agente de la CIA. Durant leurs investigations au cœur du pouvoir syrien, ils mettront en lumière des secrets les mettant en danger, leurs destins se trouvant irrémédiablement liés à l’avenir du pays.
David McCloskey nous offre un premier roman réussi. D’abord, la narration se révèle terriblement efficace, l’auteur sachant rendre vivantes et nerveuses traques et filatures.
D’autre part, il nous fait aussi bénéficier de sa solide connaissance du terrain : ancien analyste, il s’inspire de faits avérés pour rendre son récit d’autant plus vraisemblable. Il dépeint avec justesse la genèse et les premiers temps du soulèvement syrien.
« Alep avait d’abord tenu par le mépris la populace qui venait la déranger en exigeant la démission du président, car les manifestants étaient pires que déloyaux. Ils étaient pauvres.
Beaucoup étaient étudiants à l’université. D’autres, dans la province campagnarde, étaient des felahenn, des ploucs, de la classe inférieure qui couvraient leurs femmes, portaient de longues barbes et ne cachaient pas leurs dents affreuses ou leurs odeurs nauséabondes. Beaucoup avaient vécu un demi-siècle d’humiliations écrasantes et de déprédations des mains de la maison Assad. Ils avaient des comptes à régler.»
─ David McCloskey, Mission Damas
Il décrit également avec méticulosité les techniques d’espionnage d’aujourd’hui, les procédés mis en œuvre pour sécuriser planques et parcours de sécurité, tel Jason Bourne in Damas.
De plus, le roman se révèle riche et complexe également dans sa peinture de la société syrienne, monde dont l’ambiguïté n’épargne pas les classes dirigeantes, éprouvées par une atmosphère de suspicion généralisée dévastatrice.
« La paranoïa, ce legs de naissance que tous les Syriens avaient en partage, s’empara d’elle. Elle réfléchit sous tous les angles, à la tromperie et au subterfuge toujours possibles. Fatimah pourrait être un moukhabarat infiltré dans l’opposition, essayant de recruter des fonctionnaires pour tester leur loyauté ; elle pourrait être une informatrice de Bouthaina ; ou être ce qu’elle semblait être : une idéaliste bien intentionnée, désespérée.»
─ David McCloskey, Mission Damas
Pour cela, il campe aussi le portrait de personnages solidement incarnés, telle Artemis Procter, l’étonnante responsable locale de l’Agence, ou bien une galerie de Syriens, révélant les maux et dilemmes qui les rongent : Razan la révoltée
« – Laisse-moi finir. Je ne peux pas rester les bras croisés et laisser notre pays livré à la destruction. Les manifestants sont faibles, mais ils ont raison. Je veux être du bon côté. Le côté moral. Le côté de Dieu.
Daoud passa les mains dans ses cheveux clairsemés et recula sa chaise de la table. Il fixa Razan avec fureur.
– Dieu n’est plus en Syrie, Razan, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Il nous a abandonnés, livrés au chaos. Il n’y a rien d’autre à faire que de courber l’échine et de survivre. Et si tu dois faire intervenir Dieu, à quoi bon rejoindre l’opposition, hein ? Tu veux les aider à introduire leur Allah djihadiste assoiffé de sang dans notre pays, pour qu’ils nous tuent tous ? »
─ David McCloskey, Mission Damas
ainsi qu’ un dignitaire du régime, le complexe et violent Ai Hassan :
« Le choix avait été simple. Si Ali s’enfuyait, ils n’avaient pas les moyens d’emmener leur famille élargie avec eux. De plus, compte tenu de son rôle au sein du régime, selon la destination retenue, il pourrait être arrêté pour crimes de guerre. Quitter la Syrie serait une condamnation à mort pour de nombreux membres de la famille, et potentiellement pour lui. Pour sa famille, faire défection et entrer dans l’opposition serait encore pire. Le gouvernement les arrêterait, confisquerait leurs biens, les torturerait et tuerait quelques-uns d’entre eux pour faire bonne mesure.
— Que penses-tu d’Assad ? lui avait demandé Layla après son troisième verre de vin. Soutiens-tu le gouvernement ?
Elle n’avait jamais posé la question auparavant, et il ne lui avait jamais donné son avis.
Ali avait décidé de lui dire la vérité, sachant que ce serait la dernière fois.
— Pour s’en sortir, Assad va tuer à tour de bras, avec nous tous enchaînés à son trône. Il va nous dérober nos âmes.
Cette réponse suffisait, car elle ne laissait qu’une seule option. Rester sur place, baisser la tête. Il s’était senti lâche. »
─ David McCloskey, Mission Damas
Surtout, comment ne pas apprécier Mariam Haddad ? Comment s’affirmer et s’émanciper au cœur d’un système oppressant, sans mettre en péril ceux que l’on aime ? David McCloskey établit in fine un parallèle entre le destin de cette forte figure et celui de son pays.
« Elle poursuivit son chemin en contemplant la ville. « La Syrie, disait son oncle, c’est le cœur du monde. Un sang ancien coule ici. Ses villes sont restées debout depuis la création et le resteront jusqu’à la fin Et c’est ici, en pointant son doigt vers le sol, que le monde prendra fin. »
Elle vit les lumières briller dans le centre de Damas, et des tours de fumée s’élever au-dessus des faubourgs de la ville.
L’éclat éblouissant du Palais, où le président gérait ses possessions.
Les bannières noires du Djihad déployées dans l’obscurité de Douma.
Elle se souvint d’une manifestation, du cri de sa cousine, et sentit l’espoir s’envoler, laissant place à une guerre entre dieux rivaux.
Et je vous détruirai tous les deux. »
─ David McCloskey, Mission Damas
On ne naît pas espionne, on le devient.
Mission Damas de David McCloskey
Traduction Johan-Frédérik Hel-Guedj
Verso, Mai 2024