[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]I[/mks_dropcap]maginez qu’il vous vienne l’idée saugrenue de demander à des métalleux quels sont les groupes français rayonnant en dehors du territoire hexagonal. Imaginez hein. À coup sûr, vous aurez droit à une réponse ressemblant à peu près à ça : Gojira, Alcest.
Si ces deux groupes participent effectivement au rayonnement hexagonal du métal hors de nos frontières, il en est pourtant deux autres qui ont permis de localiser la France sur la carte mondiale, et ce il y a près de vingt ans.
Sur ces deux dinosaures, l’un commence à étendre son aura au-delà du métal depuis la sortie du premier volet de sa trilogie en 2011, tout en conservant son intégrité et sa spécificité. Le second en revanche, après quelques années d’activités intenses (soit pas loin de quatorze sorties en huit ans !), s’est fait beaucoup plus discret ces six dernières années.
Pour le premier, vous l’avez peut-être deviné puisque j’en parle régulièrement en ces lieux, il s’agit de Vindsval et son projet Blut Aus Nord.
Le second, qui nous intéresse ce jour, c’est le groupe Poitevin Deathspell Omega.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]T[/mks_dropcap]rio formé en 1998 par Hasjarl, Shaxul et Khaos, Deathspell Omega se fait remarquer de la communauté Black dès leur premier album (Infernal Battles) en proposant un Black Metal bien brutal, relativement classique mais excellemment foutu, lorgnant du côté de Darkthrone. Pendant quatre ans, le groupe va parfaire son style mais rester confiné à une certaine confidentialité, jusqu’à ce que Shaxul, chanteur-batteur du groupe, se décide à aller vocaliser ailleurs (Antennath et Manzer).
L’arrivée du Finlandais Mikko Aspa au chant (batteur du génial groupe Fleshpress, tête pensante de Clandestine Blaze et créateur du label Northern Heritage, rien que ça !) va bouleverser complètement la donne : DsO va évoluer de façon vertigineuse en musclant son propos, le tendant plus encore, en élargissant sa palette de noir (et en profiter au passage pour y inclure un peu de gris), et surtout en se muant en une véritable entité sur laquelle rien ni personne ne pourra avoir d’emprise. Pour cela, le groupe va tenir une ligne de conduite très proche de celle de Blut Aus Nord : pas de concert, peu d’interviews, pas de photo, albums et EPs pensés comme des œuvres d’art à part entière (musique et visuel), et enfin, là où la démarche diffère de celle de Vindsval, création d’une maison de disque (Norman Evangelium Diaboli) pour contrôler le processus de A à Z.
Résultat : en 2004, deux ans après un excellent Inquisitors Of Satan, sort Si Monvmentvm Reqvire, Circvumpice, album charnière qui va redéfinir totalement le son de DsO. En abandonnant la brutalité primitive, DsO va nuancer sa musique en lui donnant une ampleur inédite, l’ouvrir à la spiritualité (Si Monvmentvm sera le premier volet d’un triptyque sur les relations qu’entretient l’être humain face à Dieu et Satan), à l’avant-garde, au progressif.
[mks_pullquote align= »left » width= »300″ size= »24″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Il en résulte un disque complexe, tortueux, dissonant, à la fois exigeant et abordable, et pour tout dire, passionnant de bout en bout.[/mks_pullquote] Il ouvre de nouvelles perspectives et synthétise à lui seul les deux directions que prendra le groupe par la suite : l’une expérimentale, faite de longues plages, sera privilégiée sur les EPs, l’autre plus concise, brute, majestueuse même, sera l’apanage des albums (avec en climax un Paracletus confinant au sublime).
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]À[/mks_dropcap] partir de 2004, les poitevins alterneront régulièrement EPs, collaborations, LPs et ce jusqu’à 2012, année où sort Drought, EP un peu bâtard. Un peu bâtard parce qu’il rompt avec le format traditionnel des EPs, en proposant six morceaux très courts et non plus un seul d’une vingtaine de minutes. Et surtout, au-delà de son efficacité terrible, Drought génère une certaine frustration. Je m’explique : les six morceaux renvoient directement à Paracletus (la première chanson rappelant particulièrement Dearth), comme si cet EP prolongeait leur dernier album sans avoir sa propre identité. Bien sûr, on peut très bien trouver ça frustrant avec une sensation d’écouter un mini album inachevé, ou alors, à l’inverse, on peut très bien le prendre comme l’achèvement d’un cycle.
Au vu du silence qui a suivi, on peut logiquement privilégier cette dernière interprétation.
https://youtu.be/fJHXyBnUfy0
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]aintenant pour ceux qui, comme moi, avaient quelques craintes quant à leur nouvel album, autant vous rassurer d’emblée : avec The Synarchy Of Molten Bones, DsO revient au meilleur de sa forme. L’album (ou plutôt nouvel EP serait-on tenté de dire puisque constitué de quatre morceaux, et ne durant qu’une petite demi-heure) synthétise parfaitement leur art : un mélange de brutalité extrême, de tension qui vous électrise, d’éléments spirituels et de progressions hallucinantes. Auxquels s’ajoute une dimension très Free achevant de structurer cet EP et d’en faire une entité à part entière.
En quoi est-il Free me demanderez-vous ? Dans le sens où il y a intro et conclusion qui se répondent parfaitement (reprenant les mêmes cuivres dissonants, la même spiritualité), et entre les deux, c’est un chaos, basé sur l’énergie pure, qui part dans toutes les directions possibles et imaginables avec une recherche spirituelle tordue mais présente.
Le visuel illustre d’ailleurs parfaitement l’impression qui se dégage du disque : celle d’être au cœur de la tempête, à essayer de maintenir en vain le bateau à flot ; ça tangue de tous les côtés, avec parfois quelques accalmies, mais de très courte durée ; le roulis vous submerge et vous emporte sans que vous puissiez contrôler quoi que ce soit.
[mks_pullquote align= »left » width= »300″ size= »30″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Vous êtes au cœur d’un maelström et rien ni personne ne pourra vous sauver[/mks_pullquote]C’est constamment éprouvant, extrêmement tendu, par moment grandiose, mais c’est absolument passionnant pour qui apprécie les sensations fortes.
Ainsi, en associant la concision de Paracletus et la quête spirituelle de Fas Ite, The Synarchy conforte le génie des Poitevins, et prouve que, malgré un hiatus de quatre ans, le temps n’a en aucun cas altéré le talent et la rage qui habitent DsO.
Soyons clairs, concis : ne cherchez pas ailleurs, The Synarchy est, de loin, le meilleur EP à être sorti cette année en matière de Métal, qu’il soit Black ou non.
Sortie le 11 novembre dernier chez Norman Evangelium Diaboli, ainsi que chez tous les disquaires disposant de Mercalm dans leur trousse à pharmacie.