Almeria, août 2015. Sofia, 25 ans, joue la dame de compagnie de Rose, laquelle connaît des douleurs irrégulières, qui l’empêchent de marcher. Une relation exclusive se noue, la fille interrompant une thèse d’anthropologie pour s’occuper de sa mère, celle-ci devant hypothéquer sa maison pour s’offrir un traitement expérimental. Au cours des moments libres qu’elle s’octroie, Sofia se baigne, en dépit des méduses, connaît des aventures avec un Espagnol et une Allemande, revoit son père à Athènes qui a épousé une femme jeune et qui vient d’être père.
Davantage que pour une narration trépidante émaillée de péripéties multiples, Hot Milk se savoure comme un roman d’émancipation, complexe et décalé. En effet, dans ce récit, rédigé en 2016, avant la trilogie autobiographique qui reçut le prix Femina étranger en 2020 pour ses deux premiers tomes, Deborah Levy parle des corps et de l’esprit. Elle ancre son récit entre émancipation et aliénation, pouvoir et vulnérabilité.
« Rose est assise dans son fauteuil. Son dos est terrible à voir. Il est vulnérable. Les gens sont davantage eux-mêmes vus de dos. Ses cheveux étant attachés, je vois son cou. Elle perd ses cheveux. Quelques boucles tombent sur sa nuque, mais c’est le gilet qui lui enveloppe soigneusement les épaules malgré la chaleur du désert qui me fait dire qu’elle a hérité ce rituel de sa mère et l’a exporté à Almeria. C’est touchant, ce gilet. Mon amour pour ma mère est une hache. Il blesse gravement.
– Tu vas bien ?
D’aussi loin que je me souvienne, c’est toujours moi qui lui pose cette question. Quand je ne le demande pas tout haut, je le fais dans ma tête : est-ce que ma mère va bien ? Est-ce qu’elle va bien ? Le ton de Rose est énervé, peut-être un peu perplexe, et je me dis que si elle ne me pose pas la question, c’est qu’elle ne veut pas entendre la réponse. »
─ Deborah Levy, Hot Milk, p.186-187
L’autrice insiste : Hot Milk n’est pas un roman d’apprentissage En revanche, la narration tisse de subtiles analogies – entre les brûlures des méduses et celles des désirs de Sofia : le roman interroge : comment parler des corps, souffrants, sexuels, désirants ? Enfin, Sofia, « anthropologue ratée », selon ses propres termes, devient la narratrice d’une enquête qu’elle mène sur elle-même, se rapprochant de son identité en examinant ses liens familiaux, sa psyché et sa corporéité.
Deborah Levy in fine investigue nos désirs et désordres – à surveiller comme le lait sur le feu.
Hot Milk de Deborah Levy
Traduite par Céline Leroy
Editions du sous-sol, 10 Mai 2024