[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#1b7d78″]À[/mks_dropcap] l’occasion du prochain Salon Livre de Paris, la Russie sera à l’honneur avec une kyrielle de parutions de nombreux éditeurs qui vont chercher dans leurs catalogues respectifs des titres pour célébrer à leur manière les lettres russes. Les Éditions Agullo avaient déjà fait connaître de nouvelles voix émergentes de cette grande nation de la littérature, Maria Galina, ou encore Anna Starobinets.
À la rentrée de janvier, un nouveau venu a fait son apparition dans le catalogue, Dmitri Lipskerov, avec Le Dernier Rêve de la Raison, traduit par Raphaëlle Pache, un roman singulier à côté duquel il serait dommage de passer.
Dans le marché « Alimentation » d’un village russe un peu paumé, Ilya Ilyassov est un vieux marchand de poissons d’origine tatare qui martèle les têtes de petites bêtes à écaille pour les préparer et les disposer sur son étal. Pas une palabre ne sort de sa bouche pendant qu’il s’affaire à la tâche, des gestes immuables qu’il exécute depuis tant d’années maintenant, en mouvant son corps fourbu. Il travaille inlassablement dans cette poissonnerie défraîchie en repensant au drame de sa vie, un mauvais rêve comme un leitmotiv qu’il porte comme une croix, la disparition funeste de son amour infini, la belle Azia, morte noyée sous ses yeux.
Mais par une nuit d’hiver voilà que notre homme se transforme en un énorme poisson, un silure immense dans la rivière où a justement disparu Azia. Qui, comme par magie, réapparaît…
Au même moment, le vieil inspecteur Sinitchkine se voit confier l’enquête sur la disparition mystérieuse d’Ilya. Mais son esprit pour le moment est occupé à tout autre chose. En effet, depuis quelques jours ses cuisses ont tendance à gonfler dans des proportions extraordinaires, l’obligeant à se rendre à l’hôpital car les onguents que lui applique son épouse sont inefficaces. Les cuisses sont si énormes que l’on appelle un préposé bulgare du célèbre Livre Guinness des Records pour faire constater ce phénomène et essayer d’en retirer une part de gloire…
Pendant ce temps-là, notre héros malheureux et mélancolique se transforme et se métamorphose en différents états du règne animal, insectes compris…
Ce roman-fleuve de près de cinq cents pages se lit comme une farce truculente, un carnaval rabelaisien, une composition à la Jérôme Bosch. Nous ne sommes pas loin de l’univers d’un Emir Kusturica, avec ce réalisme magique qui tient de la fable onirique et des personnages hauts en couleur, on pense notamment à Underground. On rit devant ces scènes grotesques, pleines d’ironie et d’outrance. Une magie s’opère dans ce livre qui part dans tous les sens de l’imaginaire, où l’inattendu vous attend à chaque page.
Dmitri Lipskerov est un excellent conteur qui vous emporte dans des contrées insoupçonnées, loin de notre zone de confort de lecteur.