[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#00807b »]A[/mks_dropcap]rrive la saison des beaux livres. Ceux que l’on déballe ordinairement d’un beau sourire crispé avant de les oublier sur une étagère, en y jetant un œil torve et discret surgavé d’huîtres, de foie gras ou d’excès diabétiques en tous genres. Sauf que celui-là, on se jettera dessus, on le consultera aux heures sombres pour s’y repaître de la meilleure des compagnies qui soit, celle de Pierre Desproges, dans le bien nommé Desproges par Desproges.
De l’homme du Tribunal des flagrants délires et de La Minute de Monsieur Cyclopède, de sa jeunesse surtout, on ne savait presque rien. On savait l’ennui qu’il ne cachait pas dans son enfance, de son adolescence « boursouflée d’acné et d’amours ratées », de son mépris aussi pour son extraction limousine. On connaissait moins ses parents aimants et bienveillants. On y découvre un garçon épris très tôt de culture et ayant le souci du verbe, demandant à sa mère de le corriger dans des lettres touchantes, soucieux de la moindre faute d’orthographe. Et suivant plus tard les traces de son idole Georges Brassens en s’essayant à la guitare, aux chansons, avant peu à peu de trouver sa voix, notamment dans ses rubriques au journal L’Aurore où le style de l’insolent point déjà sous les articles et lui vaut beaucoup d’admiration (celle de Françoise Sagan, par exemple, l’une de ses futures victimes dans une fameuse interview) et quelques inimitiés (dont celle un brin périlleuse de Jacques Mesrine, qui réagit d’une manière assez menaçante à son portrait peu flatteur).
Perrine Desproges, fille du grand homme, a participé ici à la composition tendre d’une oeuvre de référence sur son père, réunissant les archives rares (les notes, les photographies, les lettres reproduites). L’illustration est riche et précieuse, le texte qui les accompagne fournit une notice biographique de très bonne qualité mettant admirablement les nombreux documents (plus de 600) en contexte et surtout bien dans le ton du grand Pierre, souvent assez malicieux et respectant bien l’esprit du personnage et le regard intime et touchant qu’elle a sur son père que l’on connaîtra ici au plus près à tous les moments de sa vie, dans une émouvante proximité. Avec surtout le mauvais esprit du bonhomme qui vous fera régulièrement pouffer tout au long de la lecture.
Publié aux éditions du Courroux, fondées pour l’occasion, on y découvre le portrait d’un homme attachant, contradictoire, tourmenté, provocateur et drôle. Un homme dont l’humour a la particularité d’avoir admirablement bien résisté à l’épreuve du temps, dont l’ironie, le mordant, les mots d’esprit et surtout l’amour profond pour le verbe transparaissent à chaque page. On découvre aussi ses doutes, son amour absolu pour sa femme, dans un ensemble incroyablement tendre, drôle et humain.
On se dit qu’il nous manque beaucoup. Qu’il est à sa hauteur d’auteur, ce bel écrin. Et que se réchauffer à son sourire pendant ces 340 pages en grand format, c’est un sacré beau cadeau de Noël.
De ceux qu’on ouvre avec une joie non dissimulée. De ceux qui tiennent chaud au coeur de l’hiver.