Il y a des âges où l’on se sent coincé entre deux mondes : trop vieux pour jouer dans la cour de récré, trop jeune pour savoir quoi faire de soi. Marco est là, pile à cet endroit trouble, dans une banlieue belge des années 90 où tout semble figé. Pas de drame familial fracassant, pas de misère écrasante, juste un vide, un ennui épais comme la fumée de ses joints. Dix secondes, c’est le récit de cette errance adolescente, entre potes, défonce et culture pop à gogo pour tromper l’attente d’un avenir incertain.
Les chambres d’adolescents sont ornées de posters du Beautiful Freak de Eels, du Evil Empire de Rage Against the Machine, et même de Nirvana, tandis que les livres qui traînent sont ceux de Tintin (joli clin d’œil pour Casterman qui édite cet ouvrage) et qu’ils jouent à Mario Kart ou Zelda. Symboles d’une génération que l’on est ravi de retrouver au compte-gouttes (ici, un tee-shirt de Nine Inch Nails, là un poster de Radiohead) comme s’il s’agissait d’un escape game.

Max de Radiguès, fidèle à son obsession pour l’adolescence et ses labyrinthes, capte avec une justesse déconcertante cet entre-deux où l’on tente d’exister en prenant tous les mauvais chemins. Marco n’est ni un héros, ni un anti-héros : il traîne, observe et suit le mouvement. Entre les parkings déserts et les fossés de routes de campagne, il teste ses limites, souvent juste pour ressentir quelque chose. Son jeu préféré, en rentrant de soirée à bord de son scooter, consiste à fermer les yeux et compter jusqu’à dix. Juste pour se sentir vivant. Et puis Zoé débarque dans l’équation, une étincelle dans ce marasme. Mais est-elle une porte de sortie ou juste un autre mirage ?


« Rien ne semble grave,
sauf peut-être le fait
de ne rien ressentir,
et pourtant,
tout pourrait basculer
à chaque instant ».
Derrière sa ligne claire et son découpage efficace, De Radiguès insuffle une tension constante. Rien ne semble grave, sauf peut-être le fait de ne rien ressentir, et pourtant, tout pourrait basculer à chaque instant. Car ce qui se joue ici dépasse la simple chronique ado : Dix secondes, c’est l’histoire de ces moments charnières où l’on frôle le point de non-retour, où un geste de trop, une seconde d’inconscience, peut tout faire déraper.
Impossible de ne pas ressentir un écho personnel en refermant cette BD. Peu importe l’époque, peu importe le décor, on a tous connu un Marco, ou été un peu lui. Rien n’est grave donc, mais avec ces conduites ordaliques, tout peut le devenir, même à cet âge. Et c’est bien là la force de De Radiguès : nous replonger dans cette errance universelle, avec une acuité qui laisse son empreinte bien après la dernière page.