[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]ommunisme. Le mot lui-même est incongru. Jeté aux poubelles de l’histoire, il n’est plus qu’une fiction, un repoussoir, un frisson. Le « Mufasa » des hyènes de garde du néolibéralisme. Le communisme est une idée morte, un astre éteint. Pourtant, dans l’étoile noire, vidée de son sang écarlate, une voix rouge de colère résonne encore. Évidemment, c’est un irréductible gaulois qui s’égosille. Logiquement, c’est à l’International(e) que les oreilles se tendent. Au pays du renversement dialectique, tout n’est pourtant pas si logique : c’est dans l’étoile noire que la résistance se prépare. Attention, lecture subversive.
Alain Badiou, le dernier des Mohicans
Admiré en privé par l’intelligentsia hexagonale, relégué en public dans les arrière-salles médiatiques, Alain Badiou a pourtant réussi, sur le tard, à retrouver de la voix. Il faut dire qu’il est de ceux qui gardent le cap contre tous les vents. Fidèle à ses idéaux de jeunesse, il n’a jamais hurlé avec les loups, ni succombé aux sirènes du marché. À 70 ans passés, il a enfin trouvé son audience. En bon papy résistant, il nous prend sur ses genoux pour réveiller le communiste qui sommeille en nous. Et ça peut secouer.
En quelques démonstrations simples et limpides, Alain Badiou nous convie à faire le deuil de notre regrettée Politique. Car il s’agit bien d’un acte de décès. La Politique, celle qui a pour fonction le changement de société et pour ambition la justice sociale, a bien disparu des radars. Ni plus, ni moins. À sa place, c’est la politique “Pouvoir”, mélange de stratégie cynique et de gestion des affaires qui s’est imposée un peu partout. Marx n’a plus son mot à dire ; Machiavel a gagné la partie.
Devant ce constat tristounet, Alain Badiou lui, n’abdique pas. Avec le panache du Jedi oublié, il continue de poser les questions que plus personne n’ose même penser. Pourquoi la politique s’est-elle résignée à n’être que gestion des affaires courantes ? Pourquoi le peuple a oublié qu’une autre voie est encore possible ? Pourquoi le marché l’emporte toujours à la fin ? Pourquoi le désert philosophique avance ? Des questions si simples qu’elles en donnent le vertige…
Sortir du néolithique (avec spoiler)
En bon pédagogue, Alain Badiou repart des bases. La politique, la vraie, c’est grosso modo le communisme : simple. Et le communisme, ce n’est pas Back in The USSR : basique. Les horreurs puis la chute de ce régime ont totalement discrédité une idée qui n’a pas cessé d’être pertinente : simple. Les capitalistes ont profité de ce répit idéologique pour reprendre les rênes de toutes les politiques (et de tous les esprits) : basique. Il faut donc réveiller dans le peuple l’idée communiste : simple. On pourra alors forger une deuxième voie et repenser des jours meilleurs : Halleluia !
Sans être révolutionnaire, la démonstration d’Alain Badiou est efficace. Elle fonctionne par sa cohérence. Le système est solide et repose sur un postulat aussi surprenant que percutant : notre monde actuel n’est toujours pas sorti du néolithique. Le marché considère toujours l’homme comme un “sale animal”, qui n’a de passion que pour ses propres intérêts. C’est comme cela que toutes les sociétés, depuis l’âge de pierre jusqu’à celui d’Emmanuel (Macron), font marcher le monde. En partant d’une définition avilissante de l’Homme.
Des lendemains qui déchantent ?
Or, dans l’Histoire, une idée a voulu voir plus que cela dans l’humanité. C’est l’hypothèse communiste. Une idée juste, lumineuse et, finalement, bien récente. Une idée qui, pour son malheur, a connu quelques couacs tragiques au moment de la mise en œuvre…. Il en convient. Doit-on pour autant jeter cette formidable ambition avec l’eau glacée du bain stalinien ? L’Idée est-elle définitivement condamnée par l’Histoire ? Badiou lui oppose un “non” véhément et convaincant.
Il s’emporte contre les inégalités aberrantes, la finance prédatrice, le marché destructeur, la compétition mortelle. Les temps nouveaux le poussent à refondre l’analyse. Aux solidarités sociales, il ajoute les solidarités écologiques et climatiques. Le nouveau prolétariat est plus que jamais mondialisé. Regardez vos écrans : il fuit à gros bouillons, sur les routes de l’exil, les catastrophes que le libre marché continue à produire à la chaîne. Un champ de honte sur lequel il tente de semer la révolte. Il y croit encore : sur les terres brûlées du capitalisme refleurira l’espoir en des lendemains qui chantent…
Pourtant, face à l’actualité qui ne cesse de lui donner raison, Alain Badiou reste inaudible. Son vocabulaire ne résonne plus et il le sait mieux que personne. Don Quichotte indécrottable, il continue malgré tout de chevaucher sa révolution et sa lutte des classes comme une Rossinante épuisée. Il est ce “cheval de retour” que Simone Weil moquait un peu. Mais un cheval magnifique, brillant et fidèle. Et pour cela, nous lui devons au moins notre oreille lorsqu’il se met à murmurer.