[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#a31414″]C[/mks_dropcap]ette histoire se déroule en Italie, en Calabre, la pointe de la botte. Un endroit gouverné par la délinquance, par la ‘Ndrangheta (la mafia calabraise). Un lieu décrit par l’auteur Emanuele Trevi de manière plus symbolique que réel, un lieu qui dévore les gens. On ne connaît pas les personnages avec leurs noms, mais avec leurs surnoms : le Rat, le Délinquant, les Oncles. Tout reste caché, tout est abandonné. C’est une terre qui n’intéresse personne. Une terre qui ne s’intéresse pas non plus à ses habitants, imaginés par l’écrivain comme un peuple de bois, tel Pinocchio.
Le Rat est le protagoniste de cette histoire. C’est un ancien prêtre défroqué par le désir de vivre avec Rosa. Une femme qui vit totalement dans un monde intérieur fait de rien et de télévision. Merveilleusement muette, jamais effleurée par une pensée, quelle qu’elle soit. Au contraire du Rat, devenu par amour un livreur de légumes, grand orateur doué de fantaisie.
Le Rat, espion raffiné et enquêteur sur les affaires d’autrui.
Et puis il y a le Délinquant, amoureux fou de son ami, tombé aux pieds du Rat comme une sainte en adoration, mais depuis toujours spectateur résigné de l’amour du Rat pour Rosa. Le Délinquant est un pédé, toxico et alcoolique, en plus d’être un bavard invétéré et un fanfaron aussi dangereux pour lui-même que pour les autres. Mis à la tête d’une chaîne de télévision privée, Télé Radio Sirène, propriété des Oncles. Les Oncles, clan mafieux local, qui voulaient juste tenir le Délinquant occupé et loin des affaires.
Le Rat, un jour, a une idée:
Une émission sur Pinocchio, scanda le Rat. J’ai même pas pensé au titre. Les Aventures de Pinocchio le Calabrais. (…) Je veux expliquer l’Histoire. Pas ce qu’elle raconte, ce qu’elle signifie.
Le Délinquant est ravi de cette proposition. Comme tous les gens inutiles, il vivait des sentiments et, dans sa riche collection, la gratitude du Rat lui avait toujours manqué. Il accepte, admiratif.
Le Rat, sans savoir vraiment ce qu’il va dire, se lance dans une sorte de prêche centré sur Pinocchio de Carlo Collodi.
Les Aventures de Pinocchio, on pourrait dire que c’est l’Évangile des Calabrais, le miroir à l’intérieur duquel ce peuple de bois pourra apprendre à se connaître lui-même, et à être fier de ce qu’il est. (…) Nous tous, Calabrais, nous sommes des gens que quelqu’un d’une manière ou d’une autre, a essayé d’envoyer à l’école. (…) Mais nous, même si on nous cloue les poignets et les chevilles à un banc, même s’ils nous obligent avec des tanks à écouter la leçon, nous, nous n’apprenons jamais rien. Nous sommes là mais nous sommes ailleurs, comme Pinocchio. … Ils n’ont rien à nous enseigner.
Mais trop d’attention peut devenir dangereux…
Le succès des sermons du Rat est tel qu’il finit par attirer l’attention aussi en dehors de la Calabre. Le monde extérieur commence à parler de ce saboteur du mythe de Pinocchio. Histoire qui pour tous a un déroulement heureux et qui devient un conte sordide et triste. Ainsi, le Rat est aussi, par le parallèle qu’il fait avec la Calabre, le saboteur du peuple calabrais.
C’est au lecteur de voir si lui aussi, il est devenu comme le peuple de bois, sans espoir, ou s’il a gardé intacte la foi en un pays oublié. C’est en s’identifiant à ce peuple et à sa sensibilité que l’on pressent l’issue de l’histoire.
L’écriture d’Emanuele Trevi est froide et distante. Le langage est incisif. Le Peuple de Bois est un conte avec la force tragique d’un roman, le livre est presque une parabole. Difficile à comprendre profondément pour qui n’est pas italien. Pour qui n’a pas en soi les codes sociaux d’une Italie marquée par la pègre.
Cet ouvrage fait partie des quatre romans finalistes pour le Prix Marco Polo Venise (prix du roman italien traduit en langue française).