[dropcap]P[/dropcap]our Gringo Pimento, Emmanuel Carrère c’est quelqu’un ! L’auteur revient avec Yoga, après un formidable livre sur un écrivain russe Limonov et un autre sur Jésus et la chrétienté, Le royaume. Gringo apprécie donc Emmanuel Carrère, beaucoup.
Pour Jehol, c’est une découverte, les romans d’Emmanuel Carrère lui sont inconnus. Yoga est sa première lecture d’Emmanuel Carrère, l’écrivain, le penseur, le philosophe.
Gringo a tenté une fois la pratique du yoga, dix minutes, a abandonné la séance (rassurez-vous, c’était une diffusion internet d’une maîtresse chaman) quand il lui a été conseillé de sourire en faisant les postures. Adopter des postures, pourquoi pas, mais sourire en même temps, il ne faut pas pousser. Bref, l’expérience du yoga se limite à ce raté. Et pourtant Gringo a lu Yoga avec un grand intérêt.
Jehol, elle, pratique et apprécie le yoga, sa philosophie, ses ouvertures, ses possibilités. Et comme une conséquence logique, Jehol a lu avec passion Yoga.
Pourtant Yoga n’est pas un manuel de pratique. C’est le récit de vie de cet homme, Emmanuel Carrère, qui arrive à nous intéresser à cette pratique parce qu’il ne fait pas de prosélytisme. Il reconnaît les limites de cet « art » tout en admettant qu’il lui fait beaucoup de bien. À l’origine de Yoga, il y a un journaliste qui a interrogé Emmanuel Carrère sur sa pratique. Cela lui a donné l’envie, l’idée d’écrire à ce propos. Il prévoit d’en faire un livre souriant et pendant une retraite silencieuse de dix jours, il élabore des phrases, tout en méditant sur son coussin. Et le lecteur assiste, ébahi, à l’écriture en train de se faire. Évidemment, le livre va prendre une autre tournure et l’auteur va divaguer sur sa vie, ses rencontres, ses amours, sa famille, sa nature dépressive. Également sur les vies d’autres personnes qu’il va croiser au fil du livre – des réfugiés, une américaine perdue sur une île grecque – montrant son empathie pour les hommes, les femmes.
Pourquoi l’auto fiction nous ravit avec Emmanuel Carrère et nous laisse un goût froid et amer avec d’autres ?
Question de style semble-t-il. La façon de raconter ou d’écrire d’Emmanuel Carrère éblouit le plus souvent. Ces phrases à rallonge dans lesquelles il passe du coq à l’âne, cette façon quasi universelle qu’il a de se déprécier tout en nous incluant, nous lecteurs, dans une humanité à la dérive, nous paraît souvent extraordinaire, si bien que certains passages nous ont soufflé, nous ont fait nous interrompre dans la lecture, revenir en arrière, les relire et nous interroger. Son récit évolue comme le rythme de son esprit malade allant de la tachypsychie, activité mentale débordante, à la bradypsychie, ralentissement du cours de la pensée. Il faut du temps pour lire Emmanuel Carrère, son récit est une invitation à la lenteur, à la délectation. Chaque mot est réfléchi pour traduire ses émotions ressenties. Essayez, vous, d’écrire vos maux en mots… Pas si simple.
Emmanuel Carrère veut nous transmettre au plus juste ce qu’il est. Pas de mensonge, pas de faux-semblant, pas de demi-mesure. Il est lui, honnête, transparent avec lui-même. Cela est admirable : savoir se reconnaître et savoir le dire. Il est à nu. Dans ce qu’il est de plus beau et de plus détestable. Un être humain, complexe et contradictoire. Il est au-dessus de lui-même, il s’observe, il se dissèque. Emmanuel Carrère se rapproche de SA vérité, il la cherche tellement, sans cesse, loin de toute complaisance envers lui-même, que cela nous touche profondément. Ce livre n’est pas qu’une autobiographie mais un journal intime, l’autopsie d’un vivant. Peut-être sommes-nous trop admiratifs, faisant corps avec les idées d’Emmanuel Carrère, les épousant. Mais tout de même, comment résister à de tels passages :
C’est tout le chagrin du monde qui me tombe dessus. Je ne suis plus au bord de pleurer, à présent : je pleure. Des larmes coulent sur mes joues, qui ne cesseront jamais, qui couleront aussi longtemps que la misère humaine. Misère des victimes, misères des humiliés, misère des naufragés, misère des crétins, misère des pauvres petit M. Ribotton qui sont les 99% de l’humanité, mais aussi misère des orgueilleux comme moi qui se croient les 1% restants, les 1% qui montent et que leurs épreuves grandissent, les 1% qui se croient partir pour l’été de quiétude et d’émerveillement et qui finissent généralement par se prendre dans la gueule, quand ils s’y attendent le moins, une mortelle désillusion.
Et puis, il y a cette façon qu’Emmanuel Carrère a d’écrire tout en écrivant et en décrivant. Il fait du métatexte et commente son propre écrit. Disant par exemple que normalement, telle ou telle phrase aurait pu, voire dû être supprimée à la relecture, mais que finalement, il la garde, tout en étant conscient de sa maladresse, ne pouvant se résoudre à la supprimer car elle est importante pour lui.
Je sais que ces souvenirs n’ont d’intérêt que pour moi, pour Anne et pour les garçons, que nous sommes les quatre seules personnes au monde qu’ils puissent faire sourire ou pleurer, mais tant pis, tant pis, lecteur, il faut supporter que les auteurs racontent ce genre de choses et ne les coupent pas en se relisant, comme il serait raisonnable, parce qu’ils leur sont précieuses et qu’on écrit aussi pour les sauver.
Emmanuel Carrère est certes un de ces auteurs controversés qui peut parfois agacer mais n’est-ce pas le lot des génies ?
Nous, nous avons passionnément aimé ce récit, et l’homme blessé qui nous l’offre. L’œuvre, ici, n’est pas séparée de l’artiste, l’œuvre EST l’homme.
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Yoga de Emmanuel Carrère
P.O.L, Septembre 2020
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