[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993300″]D[/mks_dropcap]e toutes les réinventions qu’aura infligées Prince Roger Nelson à son art, celle qui éclatera au grand jour au début de l’année 1987 est certainement la plus cruciale, pour sa pertinence à l’époque comme pour son incroyable pérennité les décennies suivantes.
En effet, le génie de Minneapolis s’apprête à congédier The Revolution, le groupe avec lequel il aura acquis une renommée internationale les années précédentes, du succès phénoménal de Purple Rain (1984) aux expérimentations psychédéliques et bariolées de Around The World In A Day (1985) puis Parade (1986).
Malgré les contributions encore essentielles de plusieurs membres de cette formation (notamment la guitariste Wendy Melvoin et la claviériste Lisa Coleman), le deuxième double album de sa carrière, qui allait sortir au premier trimestre 1987, sera signé de son nom seul.
Le premier single extrait du disque, qui lui donnera également son titre, s’avère être une autre révolution dans les habitudes de ce touche-à-tout autodidacte désormais livré à lui-même : à des années-lumière des tubes lubriques et extatiques que furent When Doves Cry ou Kiss, la chanson Sign O’ the Times revient à la simplicité rêche de ses débuts, avec un beat sec comme un coup de trique, une basse outrageusement présente et un gimmick de guitare vicieux et obsédant.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993300″]S[/mks_dropcap]i Prince avait déjà frayé par le passé avec une certaine noirceur thématique, du désespoir rageur de The Beautiful Ones à la mélancolie glacée de Sometimes It Snows In April, l’onirisme caractéristique de son œuvre parvenait toujours à prendre le dessus. Rien de tel ici : Sign O’ the Times énumère de façon frontale et directe toutes les catastrophes, globales ou intimes, naturelles ou non, qui émaillent alors l’actualité de l’époque, de l’accident de la navette spatiale Challenger aux ravages du sida.
Celui qui, cinq ans plus tôt, prédisait avec son hymne 1999 une fête globale en l’an 2000 semble bel et bien avoir changé son fusil d’épaule, et ce n’est pas le clin d’œil optimiste de la conclusion du titre, invitation à l’épicurisme le plus forcené, qui changera la donne.
C’est peut-être ce propos, bien plus sombre qu’à l’accoutumée, qui empêchera le single de devenir, sur le plan strictement commercial, un tube aussi indiscutable que certains de ses prédécesseurs.
Il n’empêche que c’est bien avec cette chanson, illustrée par un clip sobre déroulant ses paroles implacables sur divers fonds colorés, que Prince allait gagner des points auprès du grand public rock, le plus exigeant et le plus dur à conquérir alors pour un musicien que l’étiquette de funk, même futuriste, ne pouvait plus suffire à résumer.
Lorsque l’album sortira le mois suivant, la légende sera gravée dans le marbre pour l’éternité : avec ses seize titres explosifs, éclectiques et enflammés, Sign O’ the Times est depuis largement considéré comme la pièce maîtresse du vaste catalogue de son auteur.