[dropcap]L[/dropcap]a parution, au début de l’été 1990, du sixième album du combo new-yorkais Sonic Youth a constitué, à l’échelle de l’Histoire du rock alternatif américain d’alors, un événement majeur venant couronner plusieurs années de défrichage sonore intensif. En effet, si l’on considère aujourd’hui le groupe formé par Thurston Moore, Kim Gordon et Lee Ranaldo, vite rejoints par le batteur Steve Shelley au mitan des années 1980, comme l’une des formations majeures des années 90, il ne faut pas oublier que dès la décennie précédente, le quatuor avait déjà révolutionné le rock à guitares, alliant téméraire quête du bruit ultime et déstructuration passionnée du format (et des icônes) pop.
À l’automne 1988, le remarquable succès critique et public de leur double album Daydream Nation fut tel que le fonctionnement des labels indépendants de l’époque ne pouvait plus suffire à accompagner Sonic Youth dans ce qui semblait s’annoncer comme une ascension aussi irrésistible que stupéfiante, en particulier pour un groupe si original, exigeant et intègre. Ainsi, lorsque sera officialisée la signature de ces têtes brûlées avec la toute nouvelle structure DGC, sous-division du géant Geffen, il y avait fort à parier que ces pionniers perdraient de leur pertinence abrupte dans le même mouvement.
Et pourtant, si l’enregistrement et la production de ce Goo coûteront en effet plus cher que la conception de tous les précédents disques de Sonic Youth réunis, la puissance insolente de cet album bipolaire, qui soigne autant ses gimmicks accrocheurs (Dirty Boots, Kool Thing) qu’il ménage sa fièvre expérimentale (Mote, Titanium Exposé), jusqu’à les marier de gré ou de force dans une transe improbable (Tunic, Disappearer), laissera une trace indélébile dans les mentalités d’alors : il était donc possible de se frotter à l’industrie des majors sans perdre une once de son âme, tout en réaffirmant avec force une singularité quasi-autarcique.
Les membres de Sonic Youth auront ainsi créé un véritable cheval de Troie artistique, ouvrant une brèche dans laquelle s’engouffreront nombre de leurs contemporains, des fougueux Mudhoney aux bruyants Dinosaur Jr, en passant par les écorchés Afghan Whigs et, surtout, les redoutables Nirvana, qu’ils recommanderont eux-mêmes à leur label, avec le succès colossal que l’on sait.
Pour sa part, sans fournir de véritable tube ni se vendre par camions, ce Goo hypnotique et obsédant, devenu aussi culte que sa pochette dessinée par le plasticien Raymond Pettibon, formera une incontournable pierre d’angle de la musique de l’époque, autant qu’il constituera un rite de passage inévitable pour ses auteurs. Particularité non négligeable : chacune des onze plages de l’album, y compris son bref interlude instrumental, se verra gratifiée d’un clip-vidéo attitré. Manifeste de rock arty et possédé, viscéralement rêche et subtilement accessible, mais aussi vigoureux bras d’honneur aux gardiens du temple de tous bords (que ce soit du côté de l’underground comme du grand public), ce disque à la fois âpre et addictif aura été visionnaire jusque dans sa prescience d’une dimension multimédia qui restait encore à fantasmer.
C’est pourquoi, à l’occasion du trentième anniversaire de cet album-charnière, nous vous proposons ci-dessous une playlist exhaustive, comportant l’intégralité de son pendant visuel, qui fut édité en VHS l’année suivant sa sortie avant d’être repris en intégralité sur le DVD rétrospectif Corporate Ghost, publié pour sa part en 2004.
Comme si c’était hier…
Si seulement ^^