Qui a peur de Virginia Woolf ? Née Adeline Virginia Alexandra Stephen le le 25 janvier 1882 à Londres, cette immense dame des lettres britanniques est morte le 28 mars 1941. Étrange anniversaire que celui d’une disparition, mais l’occasion est belle d’évoquer l’une des plus grandes plumes du XXème siècle. Écrivaine de génie, critique littéraire et éditrice, Virginia Woolf « a voulu dégager le roman anglais de la gangue des traditions et du formalisme qui l’enveloppait, l’affranchir de toutes les normes, s’intéressant avant tout à la transformation des consciences ». Sa créativité d’avant-garde, sa vie romanesque, ses engagements féministes et sa fin tragique n’ont de cesse de nous fasciner aujourd’hui encore. Preuve en sont les ouvrages et films qui lui sont régulièrement consacrés.
On l’a déclarée folle, frigide, profondément antisémite, l’enfermant dans une image de femme mélancolique et suicidaire. Jusqu’à ce que Viviane Forrester* s’empare magistralement du personnage en 2009, nous offrant une vision nouvelle de l’écrivaine. S‘attaquant aux mythes qui se sont calcifiés autour de Virginia Woolf : celui de sa « folie » d’une part, et celui de ce mari sacrifié, loin d’être le « pilier » que l’on a fait de lui. Nous montrant une femme au plus près d’elle-même, insaisissable, tour à tour fragile, féroce, resplendissante ou perverse. Cette même Virginia qui écrivait : « Ce que je suis en réalité demeure inconnu »…
Affligée de troubles bipolaires, Virginia connaît ses premières dépressions nerveuses lors d’une série de deuils qui frappe sa famille. Ces troubles et cette vulnérabilité d’écorchée vive la poursuivront toute sa vie durant. Elle commence très tôt la rédaction de son « Journal » et s’attelle à son premier roman, qu’elle mettra dix ans à écrire, à la mort de son père. Dans l’entre-deux-guerres, elle est une figure marquante de la société littéraire londonienne et un membre central du Bloomsbury Group, un cercle intellectuel qui réunit des écrivains, artistes et philosophes anglais, occupé à secouer la société bien-pensante.
Elle y rencontre Leonard Woolf, qu’elle épouse en 1912, et avec qui elle crée la Hogarth Press, qui publiera tous ses romans, mais aussi ceux de Katherine Mansfield, T.S. Eliot, W. H. Auden et autres grands noms. Malgré son attachement à son époux, Virginia ne connaîtra la passion qu’auprès de femmes, dont l’écrivaine Vita Sackville-West, qui lui inspirera Orlando.
L’écriture fut pour Virginia Woolf un véritable rempart contre son mal de vivre. « Si je ne passais jamais par ces crises si extraordinairement pénétrantes d’agitation ou de repos […], je finirais par m’abandonner et me soumettre. Il y a là au contraire, quelque chose qui m’oblige à lutter. » Puisant dans les moments les plus tragiques de son histoire, elle transforme sa souffrance en de sublimes inventions narratives. Elle nous place au cœur des choses, au centre même de la réalité ; chez elle, chaque détail prend une signification et une valeur toute particulière. Monologues intérieurs, personnages tourmentés et insaisissables, fulgurances poétiques et toujours cette introspection qu’on sent douloureuse et libératoire, émaillent ainsi une oeuvre fascinante, puissante et hors-norme, que je vous engage à découvrir.
Ses travaux sont vite couronnés de succès mais c’est avec Mrs Dalloway (1925), considéré comme son chef-d’oeuvre, qu’arrive la consécration. Femme moderne et engagée, Woolf revendiquera toujours l’autonomie morale, affective et sociale des femmes, et affirme leur droit à désirer. Une chambre à soi (1929), essai passionnant et toujours d’actualité, est ainsi un véritable pamphlet pour le droit des femmes à la liberté intellectuelle.
Écrire ou mourir, Virginia n’avait sans doute pas le choix. En 1941, hallucinations et idées morbides se font cependant si accablantes qu’elle se jette dans la rivière Ouse, les poches remplies de pierres. Non sans avoir laissé une lettre poignante à son mari, avec lequel elle formait un couple fusionnel.
Mrs Dalloway (1925), La Promenade au phare (1927) et Orlando (1928), ainsi que l’essai Une chambre à soi (1929) demeurent parmi ses écrits les plus célèbres.
N’ayez surtout pas peur de Virginia Woolf et entrez dans son œuvre comme on entre en terre inconnue : curieux et inquiet à la fois, mais certain de faire nombre de découvertes sur soi et sur l’humanité, malgré les dangers qui vous guettent peut-être au détour du chemin…
« Chacun recèle en lui une forêt vierge, une étendue de neige où nul oiseau n’a laissé son empreinte ».
Virginia Woolf, « De la maladie »
* Virginia Woolf de Viviane Forrester, Albin Michel 2009 et LGF, 2011