Honnêtement, qui ici peut se vanter de connaître la discographie plutôt touffue d’Eric Chenaux ? Pas grand monde. Figure très discrète du label Constellation, il fait clairement figure d’anachronisme chez eux. Ni militant comme la plupart des signatures du label (Ought, Godspeed et quelques autres), ni radical (comme Matana Roberts ou Carla Bozulich), à peine Pop (Sandro Perri), Eric Chenaux poursuit son petit bonhomme de chemin, tranquille, traversant paisiblement Constellation comme d’autres passent au travers des tumultes.
Sur son passage il nous laisse parfois quelques carte postales, étranges et attachantes. La cinquième et dernière en date pour le label, Skullsplitter, est d’une étrangeté particulièrement attachante.
Étrange car la musique pratiquée par Eric Chenaux sur ce disque est une sorte de blues indolent, d’une grande légèreté, formant en continu des volutes vaporeuses et instables. Étrange, car il n’y a jamais de terrain stable chez elle, elle semble onduler en permanence non seulement en lien avec le traitement particulier des instruments (guitares et claviers) mais aussi du fait qu’il n’y ait aucune percussion pour stabiliser le tout. Tout cela pourrait être angoissant s’il n’y avait pas en contrepoint, faisant office de repère bienveillant, la voix chaude et profonde d’Eric Chenaux. Il en résulte une douceur rassurante, un bercement caressant semblable à ce que pourrait ressentir un nouveau-né dans les bras de ses parents
Créés en totale autarcie, presque dans la cuisine, dans les conditions du live donc, sans ajout de musiciens extérieurs, les neuf morceaux composant ce nouvel album (dont deux relectures d’anciennes compositions et une reprise) oscillent entre douceur, expérimentations, Blues et Pop.
On pourrait évoquer à l’écoute de Skullsplitter deux grandes figures de la musique underground : la première, dont on a déjà parlé en ces lieux, serait Loren Mazzacane Connors. Lui et Chenaux ont en commun de jouer, d’expérimenter dans le cadre du Blues mais le traitement que lui inflige Connors est bien plus radical, sombre et expérimental que celui du Canadien. La seconde pourrait être celle de Robert Wyatt (sans la gravité ni la mélancolie) mais il serait plus juste de le rapprocher de l’Anglais Richard Youngs, dont le timbre profond et bienveillant (notamment sur les albums May ou Airs Of The Ears) se révèle être en tout point semblable à celui du Canadien.
En somme, Skullsplitter rejoint la vision très personnelle du blues que peuvent avoir les deux figures évoquées précédemment mais là où l’américain et l’anglais le travaillent au corps, le maltraitent (notamment sur River Throught Howling Sky pour Richard Youngs et les Unaccompanied Acoustic Guitar Improvisations pour Connors), le Canadien lui nous le montre comme un refuge, un cocon dans lequel il fait doux vivre. On peut donc voir en Skullsplitter une carte postale laissée par un doux rêveur, un album en dehors du temps, un cocon feutré que rien ne peut atteindre, privilégiant un onirisme rassurant à une réalité anxiogène.
En attendant, si vous avez besoin d’un brin de douceur, n’hésitez pas à vous jeter sur ce disque étrange mais doux, petite bulle d’oxygène dans un monde de brutes.
L’album sortira le 17 février chez tous les bons disquaires de France. En précommande ici