[dropcap]D[/dropcap]ans Amoureuse ?, Estelle Fenzy remonte aux sources mêmes des premiers émois pour tenter de répondre à la question qu’elle pose dès le titre de son ouvrage publié aux très belles éditions La boucherie littéraire.
Je danse seule. Je veux qu’il me regarde. Danser, ça doit être comme faire l’amour. L’amour je ne l’ai jamais fait. Alors j’imagine. Lenteurs, saccades. Hanches ondulent, épaules roulent, tête balance, bras serrent, s’ouvrent en ailes, appellent. Estelle Fenzy
Dans une savoureuse suite de fragments remontés à la mémoire de l’adulte qui flashe son passé, la narratrice nous entraîne dans les dédales de la découverte de l’émotion et du désir amoureux. En l’espace de 80 pages, ce sont dix années ainsi balayées autour d’un désordre que la jeune fille, puis l’adolescente, puis la toute jeune femme ont traversé. Succession d’étapes initiatiques mouvementées, sans trop savoir d’ailleurs si elles nous entraînent vers un ordre plus établi.
La question de l’amour se pose dès le plus jeune âge. Parce qu’elle mime les gestes d’un garçon dans la cour de récréation, la gamine se voit interroger. : « Pourquoi tu le suis comme ça ? On dirait un petit chien ! T’es amoureuse ? » Tout est dans cette interrogation. De quoi parle-t-on ? Comment ça s’appelle précisément ? Dans les expériences de vie entre 10 et 20 ans, qu’est-ce qui se joue et se construit ? Chez Estelle Fenzy, des faits, juste d’invariables petits faits pour tenter de montrer ce qui s’y passe.
La construction et la connaissance de l’amour seraient la somme des événements, bouleversements et perturbations, tout autant vécus que subis, apparemment anodins, mais terriblement ancrés dans le quotidien de nos vies adolescentes. Lire des Harlequin ou la presse estivale, chercher à plaire, à se farder, trouver la connivence dans un regard, embrasser tant bien que mal pour voir ce que c’est, une fille ou un garçon, danser, reconnaître ses yeux revolver dans une chanson de Marc Lavoine… Tout prend une importance capitale, et décuplée. Un mot entendu, un regard, une présence au café. Tout le cinéma que l’on se fait : « Il m’a souri à la cantine » répété ici plus de 30 fois !
Tout est première fois
Dans l’apprentissage amoureux de l’adolescente, tout est première fois. Alors tout est doute ou surprise, petite ou grande joie, tristesse ou émerveillement. Chaque expérience est banale ou sublime. Comment, dans ce tumulte, s’y retrouver ? Il y a aussi ce tsunami intime : la complexité de la découverte du corps qui change, de la féminité qui s’installe, du pouvoir de séduction, ce passage de jeune fille à jeune femme : « Avant je n’intéressais pas les garçons. La vie commence à quatorze ans. »
Ce qui frappe dans cet alignement de scènes, c’est la violence avec laquelle se construit ce qui devrait être la plus douce des surprises. La jeune fille n’échappe pas à la cassette porno offerte par son amie, au plaisir et aux mots vulgaires, à l’homme qui demande à la sortie d’une rue « Tu suces ? » Violence que l’on retrouve chez les jeunes eux-mêmes : « Les autres filles me regardent de travers. Si j’étais androgyne, je serais un « garçon manqué », je suis féminine , je suis une « allumeuse ». » Ou, de la part des garçons : « Alors, il paraît qu’avec toi, on peut ? » La langue est cruelle et vipérine, l’expérience est traumatique. Tout aussi violentes la première fois de l’acte d’amour bâclée, sans joie dans une voiture, et la réaction des parents qui s’en suit : « Tu l’as fait ! Avec qui où quand comment ? » Il peut y avoir tant de déception dans cet apprentissage que la sentence peut être implacable: « Je n’aimerai plus jamais. » Terrible constat quand on a 16 ans !
Alors, amoureuse ? Dans les Fragments d’un discours amoureux, Barthes énonce que l’amour est indicible : « Vouloir écrire l’amour, c’est affronter le gâchis de l’amour : cette région d’affolement où le langage est à la fois trop et trop peu… » Estelle Fenzy interroge cet affolement et cherche à le définir avec des mots les plus justes. Elle se garde bien d’en faire une vérité. L’interrogation initiale du titre est la même à la fin. Dans la dernière saynète, le mariage se dessine « avec des doutes et des promesses que je ne suis pas sûre de tenir », dit la narratrice. Mais elle parvient, tout subtilement, à en poser les jalons, certes très personnels, mais dans lesquels tout un chacun, femme ou homme, jeune fille ou jeune homme d’autrefois, nous nous retrouvons bien.
Estelle Fenzy a écrit une certain nombre de recueils de poèmes concis et sensibles, à l’influence guillevicienne. On avait déjà entraperçu, dans Mère (publié aux mêmes éditions La Boucherie littéraire), la qualité de son écriture en prose. On sent de nouveau dans Amoureuse ? qu’un nouvel espace d’écriture s’offre à l’écrivaine, favorisant un dévoilement très juste, et encore plus profond, de l’intime.
[divider style= »dashed » top= »20″ bottom= »20″]
[one_half]
Amoureuse ? de Estelle Fenzy
éditions La boucherie littéraire, septembre 2021
[button color= »gray » size= »small » link= »http://ekladata.com/xH1pxy26nOSzQ0-YudlEi9vl0eg/E.Fenzy_Amoureuse-.pdf » icon= » » target= »true » nofollow= »false »]Site web[/button][button color= »blue » size= »small » link= »https://www.facebook.com/ed.laboucherielitteraire/ » icon= » » target= »true » nofollow= »false »]Facebook[/button][button color= »pink » size= »small » link= »https://www.instagram.com/editions_laboucherielitteraire/?hl=fr » icon= » » target= »true » nofollow= »false »]Instagram[/button]
[/one_half][one_half_last]
[/one_half_last]
[divider style= »dashed » top= »20″ bottom= »20″]
Image bandeau : Annie Spratt de Pixabay