La Musique creuse le ciel. Journaux intimes (1887) Charles Baudelaire
Je ne sais pas pourquoi, à l’écoute de ce 3ème album d’Evening Hymns, j’ai pensé à cette phrase de Baudelaire, dont le sens énigmatique tend à évoquer la puissance synesthésique de la musique, un appel à tous les sens en même temps, pour parfois… délivrer l’âme de ses peines.
Après deux albums, Spirit Guides en 2009 et Spectral Dusk en 2012, teintés d’une folk mélancolique et introspective autour de la figure du père disparu – thème récurrent et douloureux dont Jonas Bonnetta avait du mal à se défaire – Quiet Energies, sorti le 18 septembre dernier chez Kütu Records/Differ-Ant, semble plus lumineux et apaisé.
Apaisé dans le fond… car pour la forme, dès le premier morceau, If I Were a Portal, nous sommes prévenus, ça sonne plus rock, comme si les War on Drugs avaient rencontré Bon Iver, et passée la surprise, je dois bien avouer que cette énergie n’est pas pour me déplaire, comme une furieuse envie d’aller de l’avant, car c’est bien de cela qu’il s’agit, It’s hard to see things clearly/ I took 10 stabs in the night/ I guess it’s best to keep moving/ It’s all revealed in good time…
Ces chansons, écrites juste après la tournée de Spectral Dusk – durant laquelle il a beaucoup écouté Tom Petty, ceci expliquant sans doute cela – le canadien avait d’abord prévu de les enregistrer en solo, mais les années passant, la douleur s’apaisant, c’est finalement entouré de ses amis et musiciens, Gavin Gardiner et Andrew Kekewich de Wooden Sky, Jon Hynes, Sylvie Smith, Mika Posen de Timber Timbre, qu’il décida de les retravailler, dans son studio à Mountain Grove – mince je pense à Walnut Grove et j’imagine une petite maison dans la prairie… oui je déraille souvent au milieu d’une chronique – avec James Bunton aux commandes.
Au fil de l’album je ressens une envie d’exprimer le bonheur de vivre, une forme de catharsis, de Evil Forces où il évoque le temps perdu à se chercher, You can try to follow the tracks/ Cause I’ve walked in circles all my life/ I’ve floated down rivers/ I’ve tempted evil forces, en passant par House of Mirrors… on finit par retrouver des fulgurances de folk sur Rescue Teams, où l’absence du père reste malgré tout présente, dans la grandeur de l’espace, une quête qui reste vaine sauf au creux des souvenirs… et ce n’est pas le titre qui suit qui va me contredire, Oh Man You’ll Walk Again and Again, où comment son rapport à la musique est clairement exprimé, tout ce qu’il a voulu exorciser grâce à elle ! Je m’égare peut-être, mais je me dis que tout ce temps passé sur la route, à chanter chaque soir des titres d’une tristesse infinie, la peine finit par laisser place à la mélancolie lumineuse, et musicalement, le titre va crescendo, dans une explosion de guitares, pour se radoucir en échos sibyllins.
Et la suite se révèle d’une beauté infinie, Connect The Lines, ballade au piano, touches subtiles de cordes, harmonies de voix sublimes, transformation de soi, prise de conscience avec la peur de ne pas trouver la route… mais la prise de conscience n’est elle pas le signe du chemin retrouvé vers la paix ? La rage combative du titre suivant, All My Life I Have Been Running, me laisse penser que le deuil est enfin accepté :
I went out walking
Oh just to clear my mind
To bury all of the demons
To put them all behind
I heard a voice a calling
Just whispering from the pines
It’s hard to leave behind your conscience boy
It’ll be with you all the time
Débarrassé de ses démons, Jonas Bonnetta referme ce road trip mental sur Light as a Feather, morceau le plus extatique de l’album, avec cette impression de flotter, le bruit de l’eau, des oiseaux, entre les cordes en suspension, le clavier qui résonne… introduction divine, forme d’apaisement, qui laisse place à la guitare nostalgique, Found some solace/ Found some starlight/ Found the calm in my soul, la voix est sereine et chante la légèreté retrouvée de l’âme… La musique creuse le ciel… oui j’arrive au bout et je comprends mieux ma première pensée, creuser le ciel à la recherche de la lumière, en ouvrant un champ des possibles que l’on avait oublié, perdu dans nos douleurs et nos regrets…!
Le 3ème album d’Evening Hymns, Quiet Energies, est sorti le 18 septembre 2015 chez Kütu Records/Differ-Ant, il est disponible chez tous les bons disquaires indés, dans un magnifique format CD cousu main et limité à 500 exemplaires, ou sinon par ICI !