[dropcap]V[/dropcap]endredi 13 décembre, Crystal Lake. Un parking bordant un lac. À côté, un camp. Au loin, la fumée d’un combi bondé d’étudiants, venus faire la fête, dans le but de célébrer la fin de leurs premiers partiels. L’humeur, comme vous vous en doutez, est détendue. Chacun fume, boit, s’envoie des vannes… Au loin, un homme masqué armé d’une machette regarde avec délectation le combi arriver…
Au même moment à Laval, France, votre serviteur se dit qu’il sera plus chanceux que ce combi rempli de jeunes écervelés qui, selon toute logique, se feront trucider par Jason, le tueur au masque de chaussure d’hôpital. Il sera plus chanceux car présent au 6par4 pour le concert de Brigitte Fontaine et Arlt, que je ne vous présenterai pas. Ou alors très sommairement.
Brigitte Fontaine : légende vivante de la chanson française underground beaucoup moins underground.
Arlt : se reporter à la chronique de Soleil, Enculé.
[dropcap]C'[/dropcap]est donc à 20 h que s’ouvrent les portes du 6par4 pour accueillir les spectateurs, présents en nombre (la salle sera complète pour le concert de Brigitte Fontaine) pour voir en première partie les dignes successeurs de Fontaine/Areski, à savoir Arlt. C’est en trio qu’arrive le groupe (Sing Sing/Eloïse Decazes/Mocke) et soyons honnête : on pourrait presque crier au scandale. Scandale parce que le groupe, riche d’une discographie de quatre albums, ne bénéficiera que d’une petite demi-heure pour présenter son univers si particulier. De ce fait, le trio a du tailler dans le vif pour ne garder que le meilleur de ses chansons. À savoir quelque morceaux de Soleil Enculé ( pas loin des 2/3 du disque), deux morceaux de Feu La Figure (Périscope et Tu M’as Encore Tué Un Cheval qui débute le set) et leur tube en or massif : La Rouille.
Le set, bien que court, fut excellent : Mocke tint fort bien son rôle de guitariste ténébreux, Sing Sing, rouge à lèvres parfaitement posé, chanta magnifiquement, guitara non moins élégamment, et Eloïse, son alter ego vocal, maîtrisa non seulement le claquement de doigts à la perfection sur La Rouille (performance impressionnante soit dit en passant), mais également le bandonéon sur Les Fleurs et plus généralement les claviers. Après, hormis votre serviteur, un tantinet fan du groupe quand même (je me suis rendu compte, au fur et à mesure du set, que je connaissais quasiment toutes les chansons par cœur, me posant quelques questions sur mon état mental), la restriction horaire n’a pas spécialement dérangé le public, présent pour Brigitte Fontaine et ne connaissant par conséquent pas ou peu Arlt. Cela ne l’empêcha pas d’apprécier la performance du trio à sa juste valeur et de les applaudir chaleureusement quand le capharnaüm de Soleil, Enculé prit fin. Vivement le retour pour un set plus long.
[dropcap]L[/dropcap]e temps d’installer la scène pour Brigitte Fontaine, je capte quelques conversations dans le public, notamment celle entre un couple de retraités, fan depuis les 60’s et d’un père et sa fille échangeant des anecdotes sur leur rapport à la diva quelque peu décalée de la variété française. Au bout d’une dizaine de minutes, c’est dans un décor minimaliste (un fauteuil style Louis XVI posé au milieu de la scène, sur la gauche trois guitares et tout un rack de pédales au pied du tabouret qu’occupera Yan Péchin) qu’arrive Brigitte Fontaine pour un concert tenant plus de la performance qu’autre chose. Performance basée essentiellement sur les improvisations de Yan, tutoyant la noise, très expérimentales, dépouillant et recréant entièrement les anciennes chansons, issues pour la plupart de Genre Humain, Vous Et Nous, L’un N’empêche Pas L’autre et Comme A La Radio mais aussi et surtout celles du prochain album. On y reviendra.
Maintenant, il faut tout de même le dire, la musique était la seule partie réellement improvisée de tout le spectacle. Car le reste, de l’entrée au poème final de Rimbaud, ainsi que le rappel, est millimétré au cordeau. Le hasard n’y a aucune place, chaque réplique, mimique, déplacement, posture de Brigitte Fontaine est réfléchi, cadré, faisant de ce spectacle une sorte d’hybride entre concert et théâtre et pouvant générer un sentiment de frustration chez le spectateur. Néanmoins, cela ne l’empêchera pas de cabotiner à outrance, l’esprit toujours vif, parfois virulent (avec un discours et des formules très politisés), souvent provocateur (la petite pique envers Barbara), adepte de l’absurde (pour preuve, une reprise assez détonante chantée par Yan Péchin), et, pour finir, de se mettre le public dans la poche, déjà acquis à sa cause avant son entrée en scène.
[dropcap]A[/dropcap]près, comme je le disais, il y a une certaine légitimité à sentir frustré, déstabilisé à la fin de la performance. Pourtant, reconnaissons-le, il y a du génie à l’oeuvre ici. Pas dans le spectacle en lui-même mais plutôt ce qui l’entoure. Vous le savez, Brigitte Fontaine sort son prochain album, Terre Neuve, dans moins d’un mois. Et pour promouvoir le disque, quoi de mieux qu’une tournée ? Normalement, quand vous faites la promo, surtout s’il s’agit de concert, vous mettez en avant les nouvelles compositions de façon à donner envie au spectateur de courir acheter le disque une fois hors des murs. Hors ici, rien de tout ça. Déjà, aucune des chansons de Terre Neuve (huit présentées tout de même, soit la moitié de l’album) ne sont véritablement mises en avant, toutes se fondent avec les anciens morceaux. Ensuite, le traitement des chansons est si extrême (il y a bien une trame mélodique présente sur chacune mais elle se retrouve très vite noyée sous les effets de manche de Yan Péchin) que je mets au défi quiconque de retenir quoi que ce soit des mélodies et des paroles.
En somme, après digestion, ce qui subsiste du spectacle, hormis la performance de Péchin et le cabotinage de Fontaine, ce coup de génie, c’est cet immense bras d’honneur lancé à la face du plan marketing (car, au sortir du concert, on ne sait absolument rien du disque) et le fait de se dire que, quoi qu’il arrive, Brigitte Fontaine fait ce qu’elle veut, comme elle veut et nous emmerde tous, que cela nous plaise ou non. Bref, s’il doit me rester une image de cette performance de ce vendredi 13 décembre, c’est la liberté et la beauté du geste d’une éternelle anar. Le reste est accessoire.