[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e 17 mai 2016, mon camarade à l’énigmatique pseudonyme Lloyd_cf vantait ici-même les mérites d’un groupe de post-rock cinématique débarqué du Doubs. Si pour l’homme de l’Ouest que je suis, la scène musicale bisontine semblait une bien sombre étrangère, j’avoue avoir immédiatement accroché à un univers qui n’était pas sans me rappeler les perturbations de La Maman Et La Putain, titre interprété avec brio par le groupe Diabologum devenu culte grâce à un subtil mélange des arts.
Avec un premier EP intitulé Juliette, le trio bien inspiré faisait déjà la part belle aux exécutions mêlant habilement ses déferlantes rock à des dialogues sur bobine. La récidive éclatait sous les traits de Victor qui, tout en ne changeant pas véritablement la donne, s’inscrivait dans une logique de continuité quelque peu évolutive. C’est à l’occasion d’un concert sur mes terres bretonnes que je découvrais la véritable puissance de Féroces, formation qui n’usurpe aucunement son fier blason puisque la fougue jaillissant des enceintes était si fulgurante que je succombai à mon tour au désir ardent d’acclamer autant leurs performances live que leurs réalisations gravées sur le vinyle (ou autres supports adaptés aux temps modernes).
Si j’ai pu égoïstement m’interroger sur les motivations des intéressés à persister dans la délivrance d’un énième format resserré, trépignant dans mon coin dans l’attente d’un véritable LP, je n’ai clairement pas pu bouder longtemps à l’écoute d’un troisième EP baptisé cette fois-ci Joséphine.
Avec six titres au compteur, mon ressenti est encore plus enthousiaste en raison d’une grande maîtrise aux confins des saisissements en tous genre. La focalisation de leur folle électricité vient en effet imprégner un vif hommage en direction du cinéma français des dix dernières années.
Au casting, Jérôme Josselin (guitare) Sébastien Descamps (basse + clavier) François Schaubert (batterie) osent l’ornementation de pellicules aussi émouvantes que Je l’Aimais tiré du livre éponyme d’Anna Gavalda et délicatement mis en lumière par Zabou Breitman grâce au jeu des personnages centraux exaltés par Daniel Auteuil et Marie-Josée Croze. Qu’est-ce Qu’on Va Devenir Nous Deux ? se pose comme le dilemme d’un amour passionné mais impossible. C’est une comédie qui vire à la tragédie des cœurs brisés, une dimension intime bien palpable, vibrante, transfigurée des effets façonnés par des musiciens sur la matière.
Avec Une Tempête de Neige sur l’Autoroute, le groupe articule ses déflagrations rugueuses après une mise en attente quasi hypnotique. Dans la foulée c’est l’intriguant Sébastien Nicolas campé par Matthieu Kassovitz dans Un Etrange Inconnu qui se trouve noyé par des arpèges pourvus de boucles aussi mélancoliques que soignées. Dans la même lignée, Joséphine (qui donne son nom au recueil et illustre la pochette de l’album) marque des contrastes plus durs au bénéfice d’un crescendo qui conduit l’auditeur vers quelques lueurs parvenant à l’éclabousser de plein fouet.
Pour ma part, le moment le plus abouti réside dans les notes poignantes de Il Peut Très Bien Voler Son Avion, là où les murmures d’Albert Dupontel se confondent avec la retenue des mouvements. La scène est un véritable tire-larmes propagé par la tendresse d’un père vis-à-vis de sa jeune fille alors qu’il sait pertinemment que ses jours sont comptés. La mort est ici en pointe de mire, la douleur indescriptible et décuplée par cette impuissance à dévoiler à ses proches le drame qui se noue, un déchirement psychologique qui conduit l’intéressé à se comporter comme le pire des salauds afin d’épargner aux siens l’innommable fatalité. Les crissements de Féroces symbolisent à la perfection ce désarroi total. Le son est juste en mesure avec la tragédie de l’instant, une véritable pesée illustrative pour une sublime représentation de la perte et sa dureté.
Le spectre du vide qualifie également la trame des dernières secondes du disque. Un monologue rempli de désillusion, couché sur un agencement synthétique assez proche des dernières productions de Mogwai. C’est ici la remise de diffusions angoissantes mais sublimées d’une mélodie sublimement accordée par des sensations instrumentales car poussées dans une agitation non dépourvue de force et de trouble.
De manière plus globale, Féroces poursuit son chemin avec un acharnement bouleversant. Il en découle une contagion des sentiments livrés au travers d’une expulsion se faisant l’écho de pensées existentielles tout en étant finement manipulées. Au final, c’est l’accentuation du péril qui, bien que transposé dans quelques fictions, se reflète en nos indociles destinées. Remarquable !