[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]éjà 5 ans d’une belle aventure et d’un voyage frénétique, Addict-Culture avait le désir de partir à la rencontre de ce festival. Tout d’abord, parce que le Fifib défend le cinéma indépendant mondial et aussi parce qu’il met en lumière toutes les formes d’indépendances : d’esprit, de liberté, de création et d’innovation.
Le périple commence au cœur de la Cour Mably, endroit magnifique en plein centre de la ville de Bordeaux où, chaque soir, le public, les invités et membres de l’équipe du Fifib ont pris plaisir à se croiser lors des soirées musicales et cinématographiques.
La découverte d’un festival, c’est aussi l’occasion d’apprécier une ville et c’est avec légèreté que Luna Piccoli-Truffaut (fille de Michel Piccoli et petite-fille de François Truffaut et surtout égérie du Fifib 2016) nous invite à l’accompagner et à partir à la conquête de Bordeaux.
https://youtu.be/IzY0eqaalvE
Comme pour une première fois, juste se laisser porter et séduire par des films en avant-première, en compétition, la carte blanche d’Olivier Assayas, le focus sur le jeune cinéma algérien, la section Denis Côté + Arnaud des Pallières.
Passer de la douceur de cette balade avec Luna à la brutalité des images et aux secousses que cela provoque a le mérite de nous stimuler et on adore !
Des thèmes forts s’imposent : des visages féminins pénétrants, une jeunesse désenchantée, des femmes et des hommes qui aiment défier, vivre dans l’excès et surtout avec une envie insensée d’aller au-delà… du poids des traditions, de l’image que l’on veut donner, de ce que notre corps peut supporter.
Souvent ces personnes se font violence afin d’en voir les limites. Ils vont résister et bien souvent témoigner d’un certain héroïsme.
« Sans modération»
Réunir ces personnages féminins excessifs s’est imposé à moi comme une évidence. Toutes dans un processus extrêmement violent et ayant peu d’illusions quant à leur avenir, elles m’ont déstabilisée.
Nelly d’Anne Émond
Satan Said Dance de Kasia Roslaniec
Orpheline d’Arnaud des Pallières
Chasse royale de Lise Akoka et Romane Gueret
Ces quatre films d’une dureté foudroyante, mais aussi empreints d’une vitalité folle, m’ont beaucoup touchée. Ils ont une autre caractéristique : une bande son bouillonnante et moderne faisant totalement corps avec le scénario et les acteurs comme si elle leur « collait » à la peau. Et cette caméra qui nous plonge dans l’intimité de ces personnages, comme pour y voir leur intérieur. Les plans sont proches, tout est à nu, pur, beau mais trash. Le travail sur la photo est renversant, et fait surement écho au fait que ces muses « jouent » avec leur image. Une se pavane devant les écrans, une autre se photographie sans cesse, elles mettent souvent des vêtements sexy. D’autres agissent avec agressivité, toutes veulent être au centre des regards. C’est le désir de plaire. Nelly (film Nelly) le souligne, « la beauté, c’est une force de frappe».
Elles font aussi face à la peur de l’abandon et au fait de ne pas être aimées. Toutes dans un processus d’autodestruction, certaines passeront par des scènes humiliantes ou de rébellion comme dans Chasse Royale où les gros mots jaillissent de la bouche de cette jeune fille à chaque phrase.
Complétement paumées et traumatisées, elles se ficheront parfois de leur apparence et mettront même en péril leur survie. La souffrance y est prégnante, tout comme les désillusions et pourtant tous ces portraits dégagent une puissance magnétique.
Kasia Roslaniec, la réalisatrice de Satan Said Dance a attaché beaucoup d’importance à la colorimétrie dans le montage de son projet. Ainsi, elle fait le rapprochement entre les différentes facettes de son héroïne et le Rubik’s Cube. Ne peut-on pas élargir ce parallèle à tous ces personnages féminins ? Chaque couleur correspond à l’image que veut adopter chacune de ces femmes et à un morceau de leur vie (par exemple, le jaune désigne l’ego et le besoin de se trouver au centre de tout). Ces nuances font référence aux Chakras et le choix des dominantes dans leur personnalité déterminera à jamais l’avenir qu’elles ont choisi. Dans Orpheline aussi, elle pense laisser le passé derrière elle mais celui-ci finira par la rattraper.
Aucune de ces histoires ne peut nous laisser indifférent.
Écoutez Dirty Dirty de Charlotte Cardin pour vous immerger dans leur galaxie où le désenchantement éclate au son de sa voix (BO du film Nelly).
https://youtu.be/H1zmgRBPLCU
« La tragédie, c’est quand les gens s’aiment, ils peuvent arrêter de s’aimer à tout moment » – Film Nelly
« Résistance »
Contrairement aux personnages précédents et malgré les épreuves qu’ils vont traverser, ceux-ci vont s’obstiner !
Les Derniers Parisiens de Hamé et Ékoué (La Rumeur)
Montréal la blanche de Bachir Bensaddek
Hédi de Mohamed Ben Attia
J’ai choisi de réunir ces 3 films même s’ils racontent des histoires singulières, car, à mes yeux, ces 3 fictions ont des points communs :
Le passé ou le poids des croyances pèsent sur les épaules des protagonistes. Déstabilisés, parfois totalement perdus, ils vont faire preuve de passion, de patience et ténacité.
Ces individus sont marqués par beaucoup de désobéissance, de révolte, d’embrouilles et d’erreurs mais tous vont se tourner vers le futur. Ils ne sont pas résignés, au contraire, une certaine fougue s’est emparée d’eux : Hédi (film Hédi) sait à présent qu’il peut aimer, Amokrane et Kahina (film Montréal la blanche) cherchent à cohabiter plus sereinement avec leur passé, Nasser et Arezki (film Les Derniers Parisiens) recréent une famille. Ils seront enfin prêts à rêver !
Le lieu est également un point essentiel dans chacun de ces films. Hédi se déroule à Kairouan en Tunisie, Montréal la blanche au Canada dans la grande ville francophone le soir de Noël et Les Derniers parisiens à Pigalle. Le spectateur s’imprègne, se perd, découvre la ferveur de ces quartiers et se sent comme dans un cocon.
« Des talents bruts »
Le Fifib, c’est aussi la rencontre de deux auteurs autant à l’aise avec le documentaire qu’avec la fiction : Arnaud des Pallières et Denis Côté.
C’est toujours avec beaucoup de cœur que je suis le travail de ces deux cinéastes. J’ai vu Bestiaire de Denis Côté à sa sortie et j’ai le souvenir d’un film épuré et poignant, ce qui m’a amené à découvrir son univers et poursuivre mon exploration.
Arnaud des Pallières présente Orpheline à la clôture du festival. Il nous embarque totalement tant par la précision de sa mise en scène que par le mystère qui entoure le récit et les personnages. Le film narre l’histoire d’une femme à quatre âges de sa vie. Il laisse son empreinte et interroge sur la place de la mémoire en chacun de nous et la répétition de nos faits. Qui sommes-nous réellement ?
Ensuite, Arnaud des Pallières s’essaie à l’improvisation dans son documentaire Poussières d’Amérique. Ce sont des diapositives d’archive, des morceaux d’autres films, des musiques, des bouts de l’histoire des États Unis. Les tableaux s’enchaînent : la silhouette des indiens, le 1er homme sur la lune, la misère sociale, des arbres découpés en masse… garder en mémoire ce qui a formé ce pays immense en passant du rêve américain au saccage de la nature, à l’expropriation des terres indiennes et à la barbarie.
Je vous conseille vivement de prolonger la découverte du travail de ces deux réalisateurs (Arnaud des Pallières avec les films Diane Wellington, Michael Kohlhaas, Drancy Avenir, Disneyland – Denis Côté avec les films Les États Nordiques, Carcasses, Curling, Vic + Flo ont vu un ours).
« Comme une fureur de vivre »
Pour la carte blanche d’Olivier Assayas, j’ai fait le choix de ces deux films Scorpio Rising de Kenneth Anger et Contact d’Alan Clarke.
Scorpio Rising, film américain de 1964, une plongée dans les années 60 avec une sélection musicale grâce à laquelle nous remontons le temps. Entre banane, ceinture à grosse boucle, bracelet, casquette en cuir et botte de motard,… on y découvre un univers de mâles qui s’habillent avec le souci du détail et magnanime. Le rapport à l’anatomie et à la beauté est authentique. Cette virée expérimentale avec des scorpions et des têtes de mort évoque le milieu des bikers, l’homosexualité, le nazisme, la religion et les icônes rebelles de l’époque. James Dean et Marlon Brando nous emmènent sur leurs motos tandis qu’Elvis se déhanche à la télévision.
https://youtu.be/0PPT0gYfGoE
Après cette succession d’hommes focalisés sur leur allure, Contact évoque le quotidien de soldats britanniques à la guerre dans le Nord de l’Irlande. Ces mercenaires sont pris au piège du combat. Malgré la violence du sujet, le réalisateur nous montre des hommes touchés, loin d’être inhumains. C’est une guerre des nerfs. L’ennemi est peu visible. Il se cache. Il faut être attentif au moindre bruit. Tout au long du film (réalisé pour la télévision en 1985) trois phases se répètent : la patrouille, le repos et la préparation pour l’opération militaire suivante. Selon les phases, le visage de ces militaires se transforme. Au départ, le spectateur ressent l’angoisse extrême, la vigilance, puis la blessure lors de la perte d’un camarade mais également le sang froid dont ils doivent faire preuve. La tension y est palpable en permanence et dès que le public se relâche, la cruauté se manifeste : explosifs cachés, franc-tireur, tirs en rafale.
Le Fifib a été intrépide dans la qualité de sa programmation. Sans pudeur, il fait confiance à son auditoire et lui laisse peu de temps pour reprendre son souffle. Comme il a été si bien annoncé dans l’édito, « Cinq ans : l’âge de déraison, des transgressions, de tous les possibles, de la fougue et des envies jamais assouvies ».
Merci à toute l’équipe pour cette jolie fièvre qui s’est emparée de moi !
Un merci tout spécial à Catherine et Louise !
Le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux a eu lieu du 13 au 19 octobre 2016
- Hédi – Date de sortie prévue le 28 décembre 2016
- Nelly – Date de sortie au Québec prévue le 20 janvier 2017
- Les Derniers Parisiens – Date de sortie prévue le 8 février 2017
- Orpheline – Date de sortie prévue le 29 mars 2017
- Chasse Royale – Date de sortie prévue prochainement