[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]I[/mks_dropcap]llska, le mal en 2015, Heimska, la stupidité en 2017 et Gaeska, la bonté, en 2019, nouvelle livraison de l’auteur islandais Eiríkur Örn Norđdahl. Mais dans l’ordre d’écriture de son œuvre, ce Gaeska est le plus ancien, datant de 2009. Il est traduit aujourd’hui et publié, comme les autres livres, par les éditions Métailié.
Donc en 2009, le style Eiríkur Örn Norđdahl existe déjà. Son outrance, rappelant Rabelais dans certaines scènes, est déjà là.
Ainsi l’incipit du roman :
« Les femmes meurent. Elles tombent des immeubles puis s’écrasent sur les rues et les trottoirs – quelle que soit la manière dont on envisage le phénomène. Elles trébuchent, enjambent délibérément les garde-corps des fenêtres, se jettent dans la gueule de la mort, ici, là-bas, partout : et tombent raides mortes. »
Ou encore la fin de ce premier chapitre, qui a commencé, vous le reconnaîtrez, de manière très bizarre et choquante :
« Les femmes meurent. C’est une réalité incontournable. Elles tombent des immeubles, mal attifées et désespérées.
Les hommes, eux, siègent au Parlement. »
Quelle habileté de Eiríkur Örn Norđdahl d’opposer ainsi homme et femme, sujet central de Gaeska, en une phrase tranchante et définitive.
Les femmes meurent et hommes se bâfrent au Parlement. Si ce n’était pas tragique dans l’histoire, on en rirait presque. Certains scènes décrites rappellent La grande bouffe et sont un sacré coup de pied dans la mare de la politique islandaise. D’ailleurs, l’auteur ne se gène jamais pour égratigner ses compatriotes voire les insulter.
Déliquescence sociale, suicide, discours racistes des élus à propos des migrants et enfin révolution. Eiríkur Örn Norđdahl va jusqu’au bout de son idée et de son propos en proposant une nouvelle société. Les femmes remplacent les hommes aux affaires et vous vous en doutez, elles vont s’en sortir bien mieux !
Ainsi quand les hommes inventent des centres de rétention où les migrants apprennent à devenir islandais. Voici ce qu’en dit Fatima qui les expérimente :
« … c’est toujours gênant qu’on vous force la main. Ce n’est pas aux autres de décider ce qu’on veut et, en fin de compte, on finit par ne plus rien vouloir. On finit par éprouver du dégoût. »
Les femmes, elles, font de l’humanité leur force principale.
Le roman est divisé en deux parties. La première conte donc le suicide des femmes, l’inconscience des hommes.
Le second met en scène les femmes au pouvoir, leurs questions, leurs actes forts et une vague d’immigration très forte en Islande, pays envahi, pays en faillite mais comme le rappelle justement la présidente, une faillite bien moindre que tout ce que vivent les migrants fuyant un pays en guerre.
Dans cette seconde partie, le roman prend un tour éminemment politique. Parfois les bons sentiments priment sur une situation catastrophique (étonnant pour Eiríkur Örn Norđdahl) mais l’enthousiasme des femmes au pouvoir décrites magnifiquement par l’auteur finit par emporter l’adhésion.