[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]près un énorme roman, énorme dans plusieurs sens du terme, Eiríkur Örn Norðdahl revient avec Heimska, La stupidité, un tout petit roman en comparaison, nous parlons ici du nombre de pages. A peine 150 pages au compteur contre les 600 d’Illska (voir ici l’interview de l’auteur par Velda ainsi que l’entretien avec son traducteur, Eric Boury)
Pourtant l’auteur ne nous déçoit pas, loin de là. Heimska est un roman formidable, extraordinaire même par moments. Je l’ai dévoré. Une fois terminé, j’ai voulu (il faut bien tenir le rythme d’Addict…) me plonger dans un autre roman. Impossible. Je suis retourné dans La stupidité. Je l’ai donc relu. Et un mois après cette deuxième lecture, le roman m’a appelé de nouveau. Aujourd’hui, il m’interpelle encore. Signe pour moi que c’est un grand livre ou au minimum un livre singulier.
En Islande, dans le futur, domine la surVeillance. Les caméras sont omniprésentes. Dans les rues, dans le moindre magasin mais aussi dans les maisons, dans les chambres à coucher, les toilettes. L’intime n’existe plus. Les hommes, les femmes sont en permanence connectés et partagent. Tout. Le plus beau comme le plus horrible.
Dans ce contexte particulier, nous faisons la connaissance d’Áki et de Lenita, couple d’écrivains. Ce sont eux les personnages principaux. Ils seront parfois accompagnés de personnages secondaires avec qui ils coucheront pour la bonne cause: faire du mal à l’autre.
En effet, Áki et Lenita s’aiment mais se quittent, divorcent avec fracas. Et dans ce monde hyper connecté, se vengent donc l’un de l’autre en partageant en direct leurs expériences sexuelles.
Il faut dire que la surVeillance a bien fait son travail :
Áki et Lenita se sentaient bien seuls chez eux. Mais voilà, ils avaient quand même l’impression de ne plus exister et d’être vidés de leur substance. C’est alors qu’ils avaient commencé à rallumer leurs machines – d’abord une, juste histoire de bloquer un peu, puis une autre afin de compter les « j’aime », et après quelques manoeuvres de mise au point, leur domicile avait à nouveau grouillé de matériel de surveillance et tout était redevenu transparence. Hourra!
On pense souvent à 1984 d’Orwell en lisant Heimska. Également à Sauvagerie de Ballard pour le côté espionnage développé dans ces pages.
Eiríkur Örn Norðdahl pousse son travail satirique très loin et ses personnages en subissent les conséquences.
Mais dans Heimska, il n’y a pas que la surVeillance et les dérives du voyeurisme à prendre en compte. Ce serait insuffisant pour l’auteur.
Il glisse ainsi dans son récit une autre composante. Celle du plagiat. Car nos deux romanciers, encore mariés, ont chacun écrit un livre, appelé à devenir un best-seller en Islande, voire en Europe. Or, les deux romans se nomment Ahmed… et racontent la même histoire quasiment. Pour pimenter le tout, les deux Ahmed sont l’histoire d’un musulman à la dérive, qui rejoint les rangs de l’État islamique.
Eiríkur Örn Norðdahl va alors prendre un malin plaisir à mettre en scène ses deux héros qui se demandent pourquoi l’autre a plagié son roman, qui va gagner un prix littéraire, qui va vendre le plus de livres ou encore qui fera le meilleur discours à la remise des prix islandais.
D’autres sujets seront encore abordés par l’auteur dans un maelström impressionnant. Heimska, La stupidité est une œuvre bouillonnante, prenante, une authentique expérience de lecture.
Heimska, La stupidité, d’Eiríkur Örn Norðdahl, traduit de l’islandais par Éric Boury, Éditions Métailié, janvier 2017