[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#CF1633″]Q[/mks_dropcap]uand certains « penseurs » ne cessent de s’accaparer la figure de Thoreau, le plus souvent en la caricaturant, Michel Granger fait de son côté un précieux travail démontrant sa complexité et sa richesse. Il est professeur honoraire de littérature américaine du XIXème siècle à l’université de Lyon et s’intéresse aux écrivains tels que Nathaniel Hawthorne, Hermann Melville ou Ralph Waldo Emerson. Ces auteurs sont issus du transcendantalisme, renouveau littéraire et philosophique du XIXème siècle américain. Michel Granger met en avant l’œuvre de Henry D. Thoreau depuis plusieurs années notamment en collaborant avec les éditions Le mot et le reste. Avec la publication de Henry D. Thoreau, Mr Walden, réécriture d’un premier livre publié aux éditions Belin en 1999, il produit un des textes les plus éclairants sur cet écrivain.
Comme un aboutissement, Michel Granger dévoile dans ce livre une dualité entre le personnage « Mr Walden » et Thoreau. Dans le chef d’œuvre Walden, l’écrivain s’y décrit en personnage aux positions radicales et tranchées, tandis que lui-même est plus complexe à cerner. Son œuvre exceptionnelle mêle réflexion philosophique et politique avec un réel intérêt littéraire. Au-delà de son influence morale, son premier legs nourrit l’histoire de la littérature. La richesse de son œuvre et de sa vie ont été importantes autant pour des militants pacifistes, écologistes voire anarchistes que des penseurs individualistes. Le travail de Michel Granger est justement de rendre compréhensible ces multiples pistes où l’on verra « Mr Walden » se promener.
On peut reprocher une chose à Henry D. Thoreau, c’est sa misogynie. Michel Granger ne l’ignore pas. Elle dévoile une ambiguïté chez l’écrivain qui privilégie sa relation avec la nature, plus forte selon lui qu’avec une femme. Ses propos misogynes sont impardonnables mais Michel Granger rappelle le désir d’égalité pour tous qu’a évoqué Thoreau à plusieurs reprises.
Henry David Thoreau n’est pas seulement ambigu pour cette raison. Influencé par ce que l’on appelle le romantisme américain, il est pourtant en dehors de son époque. Michel Granger en conclusion cite le philosophe Giorgio Agamben qui décrit, dans son livre Qu’est-ce que le contemporain (Payot-rivages, 2008), l’Homme contemporain ainsi :
Celui qui ne coïncide pas vraiment avec [son temps] ni n’adhère à ses prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel : mais précisément pour cette raison, précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir son temps.