– Salut, j’ai bientôt une lazy party à la maison et je cherche un disque, de quoi foutre l’ambiance, un album de branleurs, un truc traîne-savate avec du larsen et élevé aux psychotropes, z’auriez pas ça dans votre boutique ?
– j’ai bien le dernier KVB …
– Ah non, ça j’ai déjà, vous me l’aviez conseillé il y a peu si je me souviens bien, je l’ai pris et j’en suis fort aise.
– Sinon, le Hold/Still de Suuns devrait tout à fait vous convenir.
– Ah ???
– C’est un quatuor de glandeurs Canadiens mais je dois vous faire une confidence : jusque là, leurs disques m’en touchaient une sans faire bouger l’autre. Pas que ce soit mauvais, non, mais ça manquait de cambouis, de crasse, c’était trop propre à mon goût…
– Et là ils ont enfin eu du poil au menton et perdu le mode d’emploi du savon ?
– C’est à peu près ça. Sans vouloir verser dans la caricature, c’était un peu le problème de Zeroes Qc, du potentiel mais un certain manque d’épaisseur. Épaisseur qu’on trouvait en revanche sur Images Du Futur, mais dans lequel il manquait une certaine dynamique (d’aucuns, les perfides, diront des chansons auxquelles se raccrocher). Il leur aura donc fallu deux albums pour corriger le tir et sortir enfin un album digne de leur talent. Soit un disque de glandeurs flippés, sous toxiques et un brin parano. Parce que là, si vous voulez, au niveau toxiques, soit les doses ont été revues considérablement à la hausse soit le produit est de meilleure qualité. Pas possible autrement. Ce qui permet à Hold/Still d’être sous tension quasi permanente. Jetez une oreille à Fall et vous verrez ce que je veux dire : ce larsen qui vous happe d’emblée, ces guitares trempées dans l’acide, cette arythmie bordélique forment un mur du son qui ne demande qu’à exploser et si vous ajoutez par dessus une voix travaillée de façon aussi crasse que le sont les guitares, vous obtenez un objet oscillant constamment entre fascination et répulsion, vous décalaminant les oreilles au passage. Instrument les voit revenir à quelque chose de plus conventionnel, linéaire même, dans lequel l’oscillateur dont ils usent régulièrement et fait leur identité, tient un grand rôle. Sauf qu’ici s’ajoutent deux éléments : une touche arabisante, allégeant l’ambiance et un silence à contrario particulièrement pesant. Un-No les voit maîtriser avec brio l’art de la tension, aussi bien dans les crescendo (cette sensation que tout va vous exploser à la gueule) que dans l’accalmie. Ensuite Resistance propose quant à lui une synthèse des précédents morceaux : retour à la déconstruction de Fall donc tout en proposant quelques bouffées de tension fort bienvenues.
– Euhhhh, ça a l’air pas mal ce que vous dites, ça fait envie mais c’est pas vraiment ce que je veux. Moi je veux un truc de feignasse, avec du fuzz et plein de guitares dégueulasses, un truc qui soit tellement drogué que t’as même plus besoin d’en prendre pour planer.
– Mais il y a tout ça dans cet album ! voire plus. Notamment une formidable relecture de Syd Barrett par les Liars, le bien nommé Brainwashed dans lequel l’esprit dérangé de Barrett serait comme passé au lave-linge. Et mieux encore le morceau suivant, le grandiose Careful, sorte de Dance psychotropique suintant le stupre, la folie, véritable serpent se louvoyant dans votre cerveau pour en prendre le contrôle, accentuant vos perceptions sensorielles jusqu’à vous rendre parano. Vous voyez, avec Careful, les Canadiens font le job et parviennent en sept minutes à distordre votre vision du monde sans l’apport de quelque drogue que ce soit. Ce que vous cherchez non ?
– Ahhh ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii voilà ce que je veux exactement !!!
– Et vous allez voir, les derniers morceaux vont également dans ce sens, Paralyzer par exemple fait se télescoper Tarwater, les Liars et Radiohead mais en mode super lazy, Nobody Can Save Me Now voit le retour de la tension mais surprend par une intro où Suuns convoque le fantôme de Lou Reed puis se barre loin, très loin, dans des territoires connus d’eux seuls, des contrées fantomatiques, instables où on croise des solos barrés de je sais pas quoi (peut-être une guitare passée à l’oscillateur, allez savoir), des sables mouvants, où ça tangue de toutes parts. Ça se termine enfin par un Infinity de toute beauté rendant hommage au Krautrock de Neu ! En passant toujours par les Liars. Bref, c’est du solide, du psychédélisme bien frappé de gars qui ont trop écouté aussi bien les Jesus & Mary Chains que les Liars ou encore tout un pan de musique Allemande. Ca fuzze de partout, c’est crade, mal élevé, ça pue mais ça n’en n’oublie pas moins d’être mélodique et bordélique comme on l’aime.
– Ok c’est bon, je prends.
– Je vous le mets de côté, il ne sort que le 15 avril chez Secretly Canadian et chez tous les confrères n’ayant plus de toxiques à portée de main.