[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]a disparition tragique de Paul Otchakovsky Laurens est, pour le monde littéraire, un choc qui « laisse place au désert » comme l’a exprimé Nathalie Quintane. Laissant orphelins beaucoup d’écrivain-e-s, les lecteurs que nous sommes, sont aussi alourdis de tristesse par le vide immense que laisse celui qui fut l’un des grands éditeurs de littérature contemporaine. Chacun-e à leur façon, les chroniqueurs d’Addict-Culture rendent hommage à Paul Otchakovsky Laurens.
Anaïs Ballin
Des livres édités par P.O.L, on retient à la première seconde, le poids, la densité, l’objet, la qualité du papier, le grammage des couvertures, particulier et si reconnaissable. Fond blanc, trois lettres tracées au bleu, P.O.L, les initiales de son créateur, Paul Otchakovsky Laurens et la sobriété et l’élégance comme marque de fabrique. À flâner un peu dans les librairies et les bibliothèques, à parcourir ce catalogue d’une richesse éblouissante, l’on mesure la rareté d’une telle maison, son exigence sans cesse renouvelée et son audace sans nulle autre pareille.
Il y a dix, ans, la jeune libraire que j’étais en était quelque peu impressionnée, Perec, Lindon, Duras, Carrère, Rolin, Darrieussecq, autant de noms résonnant comme des emblèmes de la littérature et dont je n’étais certaine d’être en mesure de saisir toute la portée. Un texte, puis un autre, les classiques, puis les plus contemporains, et au fur et à mesure des années et des lectures une confiance aveugle et une impatience non dissimulée à chaque parution, chaque rentrée littéraire. Sur les tables de septembre, et celles de janvier, ce ne sont que quelques couvertures blanches que l’on retrouve. Comme gage de cette idée de la littérature qu’est celle des éditions P.O.L, nulle surcharge, nulle surenchère, des textes précieux, aboutis, des valeurs sûres et des entrées fracassantes en littérature qui se comptent par cinq, six titres, jamais plus.
À l’annonce de la mort de Paul Otchakovsky Laurens, l’idée immédiate pour Addict-Culture et ses aficionados des lettres d’écrire un article, un hommage, disons, de parler chacun d’un titre, un texte qui aurait marqué nos vies de lectrices et lecteurs. Dilemme cornélien tant il en est qui trônent avec discrétion et importance sur les étagères de ma bibliothèque, impossible de n’en choisir qu’un. Il faut parler de Marie Darrieussecq, évidemment, il faut parler du Limonov d’Emmanuel Carrère, et d’Emmanuelle Pagano, il faut parler de Mathieu Lindon, de Patrick Lapeyre, de Leslie Kaplan, de Christine Montalbetti. Il est impossible, inimaginable de ne pas évoquer Emmanuelle Bayamack-Tam et de ce roman incroyable publié en 2013 : Si Tout n’a pas Péri avec mon Innocence, une certaine idée de la violence, de la beauté et du talent à vif comme il n’est pas donné souvent de lire. Il en est tant encore qu’il faudrait évoquer, les Yeux Noirs de Frédéric Boyer, le Monde Lointain de Célia Houdart, notamment.
Pourtant, à y réfléchir, s’il est une rencontre, une seule, que je dois à Paul Otchakovsky Laurens et aux éditions P.O.L, c’est une rencontre avec la poésie, et quelle poésie ! Charles Juliet, immense, majestueux et si bouleversant Charles Juliet. Lire Ce Pays du Silence fut de ces lectures qui changent une vie et le regard que l’on porte au monde et aux choses qui le composent. Dans un entretien avec Laure Adler, diffusé sur France Inter le jeudi 4 janvier, Paul Otchakovsky Laurens dit l’importance de la poésie en toute chose, il dit l’importance fondamentale pour une maison d’édition de publier de la poésie. Finissant ainsi par dire à quel point la poésie est inhérente à la littérature et à l’écrit tel que l’éditeur qu’il est l’envisage. C’est cela au fond, P.O.L., la poésie en toute chose. De ces vers les plus formels aux textes les plus fictionnels, la poésie en toute chose, la musicalité de l’écrit et une certaine façon de franchir les portes du monde, celui de la Littérature, celle qui compte et perdure.
Adrien Meignan
À l’annonce de sa mort, j’ai tout de suite mesuré ce que les éditions P.O.L ont permis à la poésie contemporaine. Elle offrait à des poètes l’opportunité d’être édités par une grande maison. En publiant Bernard Noël, Christian Prigent, Pierre Alferi, Charles Pennequin, Christophe Tarkos ou encore plus récemment Édith Azam, cette maison et son éditeur permettaient de rendre visible la vivacité de cette écriture.
Au-delà du genre poétique, je découvris des textes hybrides toujours en constante réflexion sur leurs formes. Par exemple, le discours aux animaux de Valère Novarina, texte solide et inclassable que seul un grand éditeur comme Paul Otchakovsky-Laurens pouvait éditer. Espérons que son héritage perdurera et qu’il existera des hommes assez fous pour éditer ceux qui veulent faire avancer la langue.
Barriga
P.O.L, trois lettres qui ont marqué l’histoire de l’édition française, des livres élégants, sobres, les rainures des couvertures si singulières que l’on pouvait identifier les yeux fermés rien qu’en passant les mains dessus. Il se disait que Paul Otchakovsky-Laurens lisait tous les manuscrits que la maison recevait, sans doute ceux qui passaient le comité de lecture, car l’homme était besogneux et je ne doute pas qu’un refus de sa part signifiait avant tout un encouragement pour l’aspirant écrivain, tant l’homme était exigeant face aux textes qu’il publiait. Oui, une chose est sûre, si vous n’aimez pas un livre édité chez P.O.L, il s’agit d’une affaire de goût car vous pouvez être certain d’être dans un bon livre quelque soit le titre que vous avez choisi. Il y a des livres et des auteurs qui m’ont particulièrement marqués dans mon parcours de lecteur et de libraire, la poésie de Christophe Tarkos, l’humour de Patrick Lapeyre, les journaux de Charles Juliet, évidement Atiq Rahimi l’unique Prix Goncourt de la maison alors qu’elle en méritait tant d’autres. L’annonce de sa disparition fut brusque, surprenante, violente, mais passé le temps de la stupeur je n’ose imaginer que la maison disparaisse, que personne ne puisse continuer l’héritage du formidable éditeur et faiseur de livres qu’était Paul Otchakovsky-Laurens.
David Ferrière
Je me souviens d’un matin de janvier 2015. J’avais ouvert Les Événements de Jean Rolin. Dans ses premières pages, on y voyait un type anonyme parcourant, dans une guimbarde miteuse, une France déglinguée par un conflit armé auquel auraient participé des identitaires, des barbus, et toutes les sous-catégories d’opportunistes que drainent les guerres civiles. Une force de maintien de la paix de l’ONU dont l’acronyme sonnait comme un canular échouait piteusement à maintenir quoi que ce soit. Bref, j’avais en main la couverture blanche-bleue-grise striée, et dans l’atmosphère empuantie d’une énième polémique Houellebecq, faire ses délices d’un conte qui à ce stade de la lecture était encore drolatique vous était une respiration qui, sans forfanterie aucune, vous plaçait un peu au-dessus de la mêlée. Posant l’opuscule quelques minutes, j’avais machinalement allumé une célèbre chaîne d’information en continu. Il se passait quelque chose à Charlie Hebdo qui allait résonner de manière sinistre avec la matière du roman. Pour une raison qui m’échappe, cette journée devait rester associée pour moi à «un P.O.L».
On n’a souvent que des banalités à dire au lendemain d’une disparition, alors voici en quelques mots, les miennes. A peu près tout ce que j’ai lu ces quinze dernières années sous les presses de P.O.L réussissait ce pari un peu fou d’être tout à la fois outil de décryptage du monde tel qu’il va et considération inactuelle; radiographie pénétrante des mentalités contemporaines et échappée par le haut – c’est-à-dire, par la littérature – à l’uniformisation du langage; expérimentation sur la langue et conviction bornée que tous ces jeux sont par définition accessibles au plus grand nombre. Faut-il rappeler sur ce dernier point que c’est Perec qui fut son auteur «séminal» ? A chacune des qualités que j’ai énumérées ici, je peux rattacher plus particulièrement un de ses auteurs : j’ai une prédilection particulière pour Jean Rolin et pour Bernard Noël, mais je lui dois les découvertes, pêle-mêle, de Valère Novarina, Robert Bober, Frédéric Boyer… Parfois, c’est l’actualité et les prix des dernières années qui m’ont mis ses livres entre les mains : Nathalie Azoulai, Mathias Menegoz, Nina Yargekov.
Une piste enfin pour ceux qui voudraient découvrir un peu plus le travail de cette belle maison. Je crois me souvenir que Proust disait quelque part qu’un bon écrivain écrit dans sa propre langue comme dans une langue étrangère. P.OL a pris le conseil à la lettre en publiant deux auteurs étrangers qui écrivent directement en français : une japonaise, Ryoko Sekiguchi, et un allemand, Mika Biermann. Je vous laisse la surprise et si le cœur vous en dit, vous irez y voir, mais ces deux-là, je vous conseille de ne pas les rater.
Marianne S.
Quand je pense à P.O.L, je me revois en Nouvelle-Zélande en janvier 2012, assise face à l’océan, me réjouissant des mots de Charles Juliet dans son Au Pays du long nuage blanc. Un journal de résidence, des mots doux et fins, qui m’ont réconfortés de cette drôle de sensation d’être le plus loin possible de mes repères.
Quand je pense à P.O.L, je revois ces discussions passionnés et exaltées à propos d’Olivier Cadiot et son Histoire de la littérature récente. Des yeux qui brillent à l’évocation d’un projet dingue, d’une écriture virevoltante et pleine d’énergie.
Quand je pense à P.O.L, je me vois dans la vieille maison de mon oncle après son décès, à trier ses centaines de recueils de poésie. Des noms défilent. Je ne les connais pas, mais je peux dire qu’ils les a tous aimés. Je suis si reconnaissante envers tous ces auteurs qui lui ont tenu la main tout au long de sa vie. Merci Pierre Alferi, Christian Prigent, Frédéric Boyer, Bernard Noël, Leslie Kaplan, Charles Juliet – encore – et tous les autres…
Quand je pense à P.O.L, je suis heureuse pour mon amie qui a rassemblé tout son courage il y a deux ans pour envoyer son manuscrit rue Saint-André-des-arts et a reçu une réponse, personnalisée, encourageante et pétrie de conseils, tout juste un mois avant la mort de Paul Otchakovsky-Laurens.
Quand je pense à P.O.L, je revois ce moment devant le Lieu Unique de Nantes où, après une rencontre fantastique et pleine de vie, Nina Yargekov nous parlait de sa relation avec son éditeur. Elle est invitée ce soir là pour parler de Double Nationalité, mon coup de cœur de l’année 2016. Ses mots, emplis de respect, évoquent la bienveillance de cet homme qui ne la presse pas, la comprend, l’encourage et l’accompagne. Elle n’en dit pas beaucoup, mais ses yeux, son sourire doux, évoquent un homme peu commun, un éditeur au service des auteurs. Un personnage rare et précieux.
Sandrine M.P
Au risque de faire hurler nombre de lecteurs et de chroniqueurs ici présents, les auteurs français m’ont longtemps prodigieusement ennuyée. Seuls les classiques trouvaient grâce à mes yeux et quelques très rares élus parmi les contemporains. Jusqu’à cette année 1994 où, embauchée pour la première fois dans une librairie prestigieuse, le grand homme qui officiait là me mette entre les mains un texte en déclarant : « aussi français soit-il, celui-ci devrait te plaire ». Bingo ! « Quoi de neuf sur la guerre » de Robert Bober fut une révélation, je tombais en amour avec la maison P.O.L et me réconciliais avec la littérature française contemporaine.
Ce n’était que la première d’une longue série de découvertes et de rencontres. L’année d’après, Emmanuel Carrère publiait « la classe de neige » et je me réjouissais de découvrir une autre voix dans cette maison dont je dévorais le catalogue avec une passion et une curiosité qui amusaient mon coéquipier et mentor.
De découvertes littéraires en révélations poétiques, le travail de cet éditeur hors norme, dont j’admirais profondément le travail, fut pour la jeune libraire que j’étais alors une porte ouverte sur un monde qu’elle avait jusqu’alors ignoré. Et quelle porte ! Je me mis peu à peu à chercher ailleurs des auteurs français qui pourraient me plaire, faisant fi de mes préjugés et de mes réticences. Magie de la littérature…
Vingt-trois ans et des milliers de lectures après, Emmanuelle Pagano, Christine Montalbetti, Frédéric Boyer, Emmanuel Carrère, Ryoko Sekigushi et bien d’autres encore, font partie des auteurs P.O.L dont j’attends toujours impatiemment les textes.
Et si je n’eus jamais la chance de le rencontrer, je me plais à imaginer aujourd’hui Paul Otchakovsky Laurens devisant avec les grands hommes et auteurs que j’admire et qui s’en sont allés avant lui. Adieu, l’ami.
Célina
Le roman D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère s’est imposé à moi pour parler de Paul Otchakovsky Laurens car j’ai voulu sélectionner un livre qui soit chaleureux, lumineux, explorant des univers et s’adressant à chacun. Il m’avait bouleversée lorsque je l’avais lu à sa sortie en 2009 et force est de constater qu’aujourd’hui encore, en le relisant pour pouvoir rédiger ces quelques lignes, l’émotion est toujours aussi forte et la structure aussi limpide. C’est un livre qui appelle à l’écoute, à l’altérité et à l’empathie. Un livre qui fait entendre des voix qui tout à la fois peuvent nous surprendre, nous heurter et résonner, familières, au plus profond de nous. Un livre qui fait apparaître des mondes créés à la force des mots, ceux qui ont été dits, écrits, et que l’on s’est appropriés. Une émotion fraternelle, douce et vive s’installe, entre les raconteurs d’histoires et leurs auditeurs.
Paul Otchakovsky-Laurens savait écouter ces voix, toutes différentes, et leur permettre de se faire entendre. Elles étaient importantes pour lui qui déclarait que les auteurs qu’il publiait lui sauvaient la vie. Elles et lui ont constitué un catalogue des plus riches et exigeants, tout entier voué à l’exploration, et à l’affirmation de soi au monde. Un catalogue très vivant, se renouvelant constamment en faisant se côtoyer les auteurs « anciens », fidèles (Emmanuel Carrère est lié à POL depuis 35 ans) et les nouveaux. Un catalogue qui reflète le plaisir, l’appétit, de découvrir. Un catalogue dans lequel chacun a sa place et se distingue.
Je n’ai pas eu la chance de vous rencontrer mais une personne qui m’est très chère l’a eue. Il vous a rencontré au festival des Rencontres Cinématographiques à Digne-les-Bains où il présentait son court-métrage. Vous faisiez partie du jury et aviez beaucoup aimé son film. Vous le lui aviez dit, directement et très simplement. Et preniez régulièrement de ses nouvelles depuis, pour savoir, connaître les cheminements, avec à chaque fois gentillesse et considération. Alors merci sincèrement Paul Otchakovsky Laurens pour votre curiosité et votre belle énergie. Merci pour votre bienveillance envers vos auteurs, vos lecteurs et celles et ceux qui croisaient votre route.
Barz
Un hommage, oui, évidemment, je ne pense qu’à ça. Mais par où commencer ? Que dire qui ne l’a pas été ? Frappé au réveil le 4 janvier dernier quand ils annoncent « la nouvelle » sur France Inter dans le flash de 7h30. Habituellement, la radio s’enclenche à 7h, je ne l’entends pas, et j’émerge entre 8h et 9h, parfois plus tard, selon l’heure à laquelle je commence à la librairie. Mais ce matin, à 7h30, j’ai bondi hors du lit. Quoi ? Qui ? Pourquoi ? Merde !
Je n’ai pas une pratique assidue du commentaire et de la prise de position sur Facebook, mais ce matin-là, j’avais besoin de dire quelque chose. Je l’ai fait. Je ne mesurais pas que certains l’apprendraient par moi, par mon message. J’ai eu un peu peur de mon message, de son impudeur peut-être, de m’être précipité comme un vorace sur l’information pour partager ma peine. De quoi est-elle le nom d’ailleurs ? Faut-il lui donner un nom ? Dans la foulée de ce message, j’ai envoyé un mail à Pierric Bailly, l’auteur du catalogue P.O.L avec qui j’ai noué le plus de liens. J’ai pensé à lui, profondément, je ne savais que lui dire mais je voulais le lui dire.
Les heures passaient et les partages, « likes » ou autres « réactions » s’accumulant sous mon message ne faisaient que renforcer la réalité de « la nouvelle », et me foutre dans un état vraiment bizarre. Arrivé à la librairie, j’ai erré dans mon rayon, à regarder sur les tables, sur les étagères, les livres que P.O.L avait bien voulu donner à lire à qui veut. Je me faisais la remarque qu’on les voit de loin, qu’ils sont repérables d’emblée parmi leurs congénères. Même si ce fait n’est pas l’apanage des livres P.O.L, il en va de même pour ceux des Éditions de Minuit, de Christian Bourgois, de Sabine Wespieser, des Éditions de l’Olivier, bien sûr de « La Blanche » de Gallimard, ou leur collection « L’imaginaire ». De l’importance de conserver une maquette, une ligne esthétique, une marque de fabrique, au fil du temps. Je vois bien que je m’apprête à digresser, à écrire cet « hommage » en tirant des bords, en refusant d’y aller frontalement, le vent de dos. Mais quoi ?
Je viens de lire le dernier roman de Christine Montalbetti, Trouville Casino, dans lequel elle part d’un fait divers (le braquage du casino de Trouville par un septuagénaire, puis sa folle cavale en voiture à travers les routes normandes) pour digresser à tout va sur le climat normand, ses routes, ses pâturages, ses insectes. Partir d’une réalité qui ne nous appartient pas pour dire quelque chose d’autre que les faits.
Que voulez-vous que je vous dise sur la mort de Paul Otchakovsky-Laurens que vous ne sachiez déjà ? Je n’y étais pas. Mes souvenirs avec lui ? Oui, j’en ai. Quelques-uns. Lesquels voulez-vous ? Tous ? En vrac ? Les « meilleurs moments » ? Non, je ne vois pas qui ça peut intéresser vraiment. Alors je vais m’aider de la demande de Lilie, la rédactrice en chef d’Addict, de prendre une photo des livres P.O.L que nous avons dans notre bibliothèque.
Nous y voilà. Bien entendu, ce n’est pas ainsi que sont disposés les livres chez moi, mes bibliothèques ne sont pas des sanctuaires à la gloire d’un éditeur, ou d’un auteur. À la limite à la gloire de mes heures passées à lire, et à celles qu’il me reste. Pour les besoins de la photographie j’ai vidé les étagères d’une de mes « Billy » et suis allé chercher à droite, à gauche, mes livres estampillés P.O.L pour les regrouper, par ordre alphabétique d’auteur puis par date de parution. J’aurais pu choisir de séparer ceux que j’ai lus des autres. Ou faire un dégradé selon la couleur qu’a pris la couverture, son jaunissement dû au temps, au soleil, à la poussière, aux déplacements dans un sac. Ou bien ceux avec bandeau et ceux sans bandeau. Bref, vous avez compris. Au moment où j’écris, je me rends compte que j’en ai oublié un, il est juste à ma gauche, il est passé à l’as. Tant pis, je ne vais pas refaire la photo.
Que dire de ces livres ? Tout d’abord, la chose qui me saute aux yeux, ce sont les absents : ceux que j’ai prêtés, perdus, ou lus sans les posséder. Où est passé mon Michael Jackson de Pierric Bailly ? Où mon Histoire de la littérature récente – Tome 1 d’Olivier Cadiot ? Et La montée des cendres de Pierre Patrolin, on en parle ? Si tu lis ce message et que tu les as en ta possession, merci de transmettre à la rédaction. Ensuite, ceux que je n’ai pas lus, sur lesquels je projette des fantasmes de lecteur en me souvenant de la première fois que je les ai possédés, soit en les achetant dans une librairie soit en les recevant en service de presse. Et puis vous savez ce que c’est : on accumule en se disant qu’on les lira bien un jour. C’est mon patrimoine, pour quand je serai en retraite, ou au chômage, ou sans le sou (généralement ça va ensemble) : au moins, je pourrai lire à foison sans aller dans une bibliothèque.
Ensuite, que se dégage-t-il de cet ensemble ? Quasiment que des auteurs vivants (deux morts seulement : Édouard Levé et Edith Wharton), ce qui signifie que mon attachement à ce catalogue n’est pas patrimonial. Je suis obsédé par la littérature contemporaine, par les vivants, par ce qu’il s’écrit aujourd’hui et maintenant. C’est ainsi, c’est le lecteur que je suis. Et je peux dire qu’avec P.O.L je suis servi ! Ensuite, les auteurs pour lesquels j’ai une affection toute particulière : Pierre Alferi, Pierric Bailly, Bertrand Belin, Olivier Cadiot, Rebecca Lighieri, Christine Montalbetti, Pierre Patrolin. Tiens, il en manque. Où sont-ils ? Chez ma mère ? Je ne les ai pas alors que je les ai lus ? Ou crois les avoir lus. Il va falloir que je me penche sur la question. Qu’ont-ils en commun ces auteurs ? Ils m’ont excité. Par leur liberté à tordre le cou aux préceptes narratifs, à boxer la langue française, à prendre des chemins de traverse.
Il est possible de faire des rapprochements, mais on s’en fout. Chacun d’eux est unique en son genre, et je suis prêt à parier que si vous me faites lire une page à l’aveugle d’un de ces auteurs, je saurais le reconnaître. Et si tel n’était pas le cas, je m’en réjouirais : quelle joie de pouvoir être surpris par un auteur que l’on croit connaître. S’ils me lisent : surprenez-moi, ne lâchez rien, continuez comme avant, même si plus rien ne sera comme avant. J’espère du fond du cœur que Jean-Paul Hirsch, le collaborateur de Paul Otchakovsky-Laurens depuis tant d’années, saura vous rassurer, poursuivre le travail avec vous, vous encourager, vous désirer, vous rassurer, et faire en sorte que vous poursuiviez ce merveilleux travail qui consiste en l’illumination du lecteur.