[dropcap]C[/dropcap]réation d’un objet de culte n° 8952.
Prenez quatre garçons, musiciens si possible, doués pour la provoc’. Faites les se rencontrer, s’inventer une biographie fantasque, si ce n’est délirante. Collez leur des instruments, observez l’alchimie s’effectuer entre eux et faites leur enregistrer un disque. Sortez-le à peu d’exemplaires, en cd-r par exemple. Voyez si le culte prend ou non. S’il prend, attendez cinq, six ans, créez un label et faites en sorte que votre première référence soit la réédition vinyle du dit cd-r. Tirez-la à un nombre limité d’exemplaires, attendez un an qu’elle soit épuisée, puis éditez la une seconde fois en vinyle. Laissez mariner quelques années. Maintenant s’offre à vous deux options : le disque tombe dans l’oubli et finit au pilon parmi des millions d’autres galettes. Ou, option préférable, un passionné, de préférence disquaire et créateur de plusieurs labels, en possède probablement un exemplaire et décide de l’éditer à nouveau et le distribuer à plus grande échelle.
C’est donc cette option qui se concrétise, via la seconde référence de Replica Nova, pour Obéis ! unique album du quatuor français Ich Bin. Comme je le disais en début de chronique, la biographie du groupe, d’une véracité confondante, est un monument d’absurdité.
Ich Bin serait né en 1988 de la rencontre de quatre manutentionnaires d’une usine pétrochimique secrète corse après avoir trouvé des synthés made in Corée sur un bateau échoué sur les côtes.
Leur style, si particulier, leur vient au bout de plusieurs années et ce suite à la dégradation progressive de leur état physique et mental en lien avec l’exposition permanente aux émanations chimiques de leur boulot. Néanmoins, comme la cohérence est la qualité première de leur biographe, en 1988, ils sont programmés pour le festival Calvi, c’est fini (sic !) et se font éjecter dès le premier morceau.
Suite à cette expérience quelque peu désastreuse, ils enregistrent une cassette au studio Léoneti et l’envoient un peu partout (Corse comme continent et au-delà). Réponse d’une radio locale : ça sonne pas très corse. Bref, comme vous pouvez vous en douter, c’est par la négative qu’est accueillie leur cassette, exception faite du label Belge Pneu qui, enthousiaste, édite en 2001 en cd-r We Came To Reign.
Bon, vous vous en doutez, fin exceptée, la vérité est ailleurs. Déjà, à défaut d’être corses, les membres d’Ich Bin viennent tous de Mulhouse (ce qui, vous en conviendrez, vend beaucoup moins de rêve que la Corse). Ensuite, contrairement à ce que dit la biographie, seul un des membres (Julien Vermot) semble s’être retiré complètement de la scène musicale, les autres (Laurent Berger, Remy Bux et Sebastien Borgo alias Ogrob) ont poursuivi l’aventure avec les excellents Sun Plexus ou encore, pour le seul Ogrob, Micro_Penis ainsi que L’autopsie A Révélé Que La Mort Était Due A L’autopsie.
Maintenant que votre serviteur a effectué un travail intense d’investigation et rétabli LA vérité, qu’en est-il vraiment d’Obéis ! ? Mérite-t-il son statut de disque culte ou est-il juste bon à terminer son vol dans le crâne d’un zombi un peu trop entreprenant en période apocalyptique ? La réponse est relativement simple, si vous aimez les arrangements délicats avec des envolées de cordes, de fins arpèges, de doux alexandrins sur la beauté évanescente de la nature, choisissez directement la seconde option. Si en revanche vous goûtez aux synthés pourris, aux boîte à rythmes de merde, aux programmations à chier, aux effets nazes, à l’humour douteux, aux clichés les plus débiles, alors oui, plongez dans Obéis ! Mais à vos risques et périls. Parce qu’on ne sort pas indemne d’un tel disque.
Pour faire simple, Obéis !, c’est un peu l’adaptation musicale de la ligne crade de Vuillemin à laquelle vous ajoutez l’esprit provoc’ d’Hara-Kiri (Reiser, Choron), l’humour absurde de Fluide Glacial (comment ne pas penser à l’épisode Carrefour des premières BD d’Edika ?) et l’irrévérence de certaines séries Z des 80‘s (Street Trash, les productions Troma). Vous voyez le tableau ?
Musicalement, ça va dans la même direction : au strict opposé du point de dentelle. Concrètement on a affaire à une sorte d‘électro-clash mutant, constamment tendu, malsain, composé sur des synthés et des boîtes à rythme crades, desquels subsiste encore l’odeur de graillon et l’huile collante, rance, sur les touches. C’est barré comme du Coil sous LSD, rigide comme du Kraftwerk, épuré comme du Suicide, on arrive même parfois à y déceler quelques touches de Bowie période Station To Station, de jeu Atari ainsi qu’un soupçon de hip-hop.
Ajoutez à cela le fait qu’Obéis !, sous couvert de provocation, aligne les poncifs débiles (Danger), les clichés les plus éculés (Industrie Lourde), les associations d’idées les plus tordues (dignes d’une phase aiguë d’un délire psychotique), les blagues les plus douteuses sorties depuis Hitler = SS (A.I.N.Z) et vous obtiendrez, sur papier, un des disques les plus dérangeants/détestables sortis depuis un bon paquet d’années.
Mais ça, c’est sans compter sur le talent et l’intelligence d’Ich Bin. Parce qu’on pourra dire ce qu’on veut, du talent, il y en a à revendre. Et c’est même ce qui permet d’aller au-delà de la sidération liée à la première écoute.
Ça a beau être brut de décoffrage, friser parfois le bon goût, il y a au final une écriture, des mélodies, une réflexion sur la matière sonore qui étonne et finit par rendre accro.
Avec une économie de moyens flagrante (synthés équipés du minimum syndical, à savoir quelques réverbérations, des échos, du flanger, etc …), le quatuor parvient à créer un univers apocalyptique, fait de boucles et divers effets, maniant périodes de glaciation et de radiations avec un brio rare et de façon à toujours appuyer son propos (écoutez Méthanol en essayant de faire abstraction des paroles).
Et puis, pour en revenir aux propos, au delà de l’aspect provoc’, c’est la vision nihiliste d’Ich Bin qui sidère. Bien sûr, c’est du trentième degré, il y a clairement un aspect ludique à manier certaines horreurs sans les nommer clairement ou les brouiller de façon à les rendre incompréhensibles, mais il n’empêche que sous le vernis de l’humour, Obéis ! va loin, très loin. Qu’il s’agisse du consumérisme (qui devient une cause de mortalité indirecte sur Hypermassacre), des abus sexuels (la métaphore est très claire sur Trafic d’Organes), des conséquences neuros de certaines prise de toxiques (Méthanol), du nationalisme (A.I.N.Z.), de l’aliénation par le travail (Body Building) ou du mécanisme interprétatif de la parano (Danger), il n’y a rien à sauver ici. L’humanité est un fléau qui ne mérite même pas une seconde chance, ni même une première. Et c’est là, dans cette démarche jusqu’au-boutiste, qu’impressionne Obéis !.
Ich Bin ne recule devant rien pour plonger entièrement dans la fange et en ressortir une pépite, un disque d’une noirceur effrayante, à faire passer Bruit Noir (qui n’est pas le dernier des manchots en matière d’humour noir et de pessimisme) pour un orchestre de bal. Aussi indispensable au final que de mauvais goût.
Alors maintenant, pour répondre à la question posée précédemment : Obéis ! mérite-t-il son statut de culte ? La réponse est clairement oui. Méritait-il une nouvelle édition ? De nouveau oui. Un reproche à faire alors ? Oui. Celui que Replica Nova n’ait pas ajouté le 45 tours Votez Ich Bin sorti en 2007 dans la présente édition. Mais bon, on ne peut pas tout avoir non plus (et qui sait, peut-être que ce sera à l’ordre du jour lors de la prochaine réédition).
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Obéis ! – Ich Bin
Replica Nova – 15 mai 2020
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Image bandeau : pochette du vinyle « Obéis! »- Ich Bin – Replica Records