Mardi 4 août 2015 s’est joué Il Trovatore, de Verdi, au Théâtre antique d’Orange.
Une représentation placée sous le signe de la puissance et de la poésie : Leonora, el conte de Luna, Azucena et Manrico ont fait frissonner les gradins.
L’histoire, d’amour bien sûr, dont Verdi s’impose en maître incontesté. Amours noircies de vengeance et d’égo mais filées d’héroisme.
Dans l’Espagne du Moyen-Âge, la gitane Azucena a enlevé le fils du comte de Luna pour venger sa mère, que le vieux comte avait envoyée au bûcher. Elle l’a élevé comme son propre fils, sous le nom de Manrico. Ce dernier, amoureux de Leonora, dame d’honneur de la reine, se rapproche de sa belle sous les traits d’un trouvère (Il Trovatore). Il doit affronter son rival en duel : le jeune comte de Luna (fils homoyme). Leonora n’a d’yeux que pour son troubadour d’amoureux venu chanter sous sa fenêtre, et, croyant que celui-ci a été tué par le jeune comte, décide par désespoir de se ranger dans les Ordres. Manrico réussit à la convaincre de n’en rien faire mais lors des préparatifs du mariage, Azucena est faite prisonnière et condamnée au bûcher. Son fils se fait lui-même capturer en tentant de la délivrer. Leonora, face à ce drame, promet au jeune comte de l’épouser s’il délivre Manrico. Et une fois l’accord conclu, elle boit le poison mortel de la délivrance. Manrico est tué sous le regard satisfait de sa mère Azucena pour qui la vengeance de sa propre mère était primordiale. Le jeune comte se retrouve sans amour et vivra sous le poids d’un fratricide qu’il a lui-même orchestré.
Pour célébrer cet opéra, le directeur des Chorégies s’était encore une fois entouré des meilleurs :
→ Orange accueillait pour la première fois la chanteuse Hui He, soprano révélée par son interprétation de Madame Butterfly il y a une dizaine d’années et qui a su conserver sa superbe vocale au fil des représentations. Sa performance pour le rôle de Leonora n’a pas failli : elle a été acclamée par les spectateurs.
Et si je puis me permettre de livrer ici une confidence émotionnelle : j’ai encore en mémoire sensitive l’émotion ressentie lorsqu’elle exprime son amour : Hui He pousse la perfection mimétique en se hissant sur ses pointes de pied pour mieux encore « pousser » sa voix… Le public en a frissonné …
→ Marie-Nicole Lemieux, l’une des plus brillantes étoiles qui parcourt le monde pour y interpréter les plus grands airs, interprétait le rôle d’Azucena, la mère gitane de Manrico. Un rôle sur mesure pour une orfèvre lyrique, mêlant à la fois l’amour maternel, le désir de vengeance et la satisfaction salie de chagrin. Un rôle dans lequel elle s’est à nouveau illustrée, à en juger par les acclamations non retenues du public orangeais.
→ George Petean fêtait son « baptême chorégique » : un conte de Luna dont le talent rivalise avec le charisme.
→ Les Chorégies ont accueilli Bertrand de Billy, l’un des chefs d’orchestre les plus prestigieux au monde.
Ce Théâtre n’accorde aucune place à l’à peu près : son architecture place les artistes assez loin de l’orchestre (60 m environ) et ceux-ci doivent anticiper sur la musique pour être parfaitement synchronisés.
Orange exige une excellence de tous les niveaux.
→ La mise en scène, signée Charles Roubaud (à qui la Région a offert ses galons lors de ses débuts), se révèle sobre et efficiente avec une entrée surprenante : des lits de camp disposés sur la scène que viennent occuper des hommes torse nu : bande de rebelles de Saragosse, dont le chef n’est autre que Manrico, interprété par Roberto Alagna.
→ Roberto Alagna… celui que tout le monde attendait… au tournant ! Les puristes l’adorent ou le détestent. Dans les gradins les souffles se coupent par admiration ou par attente du faux pas.
Serait-ce son rôle de troubadour peu charismatique face à la superbe du comte de Luna ou sa notoriété « populaire » qui induit tant de radicalité ?
Le fait est que le chanteur laisse peu de place à la nuance. Adulé pour son interprétation d’Otello l’année dernière et fier de ses quinze années de présence sur la scène d’Orange, le plus célèbre des ténors est probablement celui qui génère le plus de déchaînements.
Entrant sur scène en costume noir, cheveux négligés au vent et avec peu d’aplomb, Roberto Alagna sous les traits de Manrico ne montre définitivement aucune prestance. Ses premiers chants oublient les aigus pour ne se livrer qu’aux tierces.
Les actes suivants lui rendront ses lettres de noblesse et laisseront sa voix emplir le théâtre.
Roberto Alagna mène ses troupes pour saluer « son » public. Il semble s’attribuer tous les applaudissements comme si, au vu de sa longue expérience sur la scène d’Orange, lui seul était légitime pour les recevoir.
L’année prochaine les Chorégies accueillent Traviata .
Et je me permets un conseil : qui a connu une seule fois les Chorégies en étant bien placé ne peut plus revenir aux places du haut, éloignées du son, de l’image et de l’émotion.
A l’année prochaine, donc !