Attention, ce texte contient des spoilers…
Je suis une malédiction sexuellement transmissible.
Je me présente comme étant une personne, connue ou inconnue, avec un aspect un peu dégradé, voire carrément amoché (sinon, je ne serais pas dans un film d’épouvante, réfléchis un peu). Je marche inexorablement vers toi, mais lentement. Donc tu as le temps de t’échapper, mais t’inquiète, je gère, je t’aurai. Et quand je t’aurai attrapé(e), je te ferai mourir dans d’atroces souffrances.
Tu veux te débarrasser de moi ? Pas de souci, si tu as un minimum de charme et de sex-appeal, tu devrais trouver assez facilement un partenaire avec lequel avoir une relation sexuelle. Par contre, si je me débarrasse de toi, je m’attaque à la personne qui t’a refilé ma malédiction…. C’est pas top, ça ?
Ah, détail d’importance : Seuls ceux que j’ai maudit peuvent me voir. Sinon, ce ne serait pas drôle.
Voilà le résumé d’un film « d’horreur » somme toute assez banal.
Pourtant It Follows détourne les clichés du genre pour dépeindre une adolescence assez banale. Américaine, certes, car vivant dans une de ces typiques banlieues des états-unis où les maisonnettes se suivent et se ressemblent, avec leurs pelouses entretenues, le permis de conduire à seize ans. Mais aussi, universelle. Point de pom-pom girl ou de footballer américain : des jeunes filles en fleur bien dans leur peau, matures, des garçons entre deux âges pour l’un, plutôt bellâtre pour l’autre, mais celui qui tirera son épingle du jeu ne sera pas celui qu’on croit.
Et une réalité sociale : l’absence de parents, une partie de la banlieue désaffectée… La crise des sub-primes est bien passé par là.
Les jours se suivent et se ressemblent, dans un certain ennui : on va chez les uns et chez les autres, on regarde à la télé des vieux films de série Z en noir et blanc, tout en extrayant de sa liseuse des citations pour faire réfléchir ses amis. Point de fêtes sur des bords de piscines rutilantes, avec punch alcoolisé et punition de faire-valoirs, mais plutôt des trempettes sereines dans de petites piscines démontables. On part se réfugier en bord de plage, mais dans une maisonnette toute simple.
Même la métaphore de la punition pour avoir fauté a la vie dure : Dans ce film, la jeune victime couchera avec trois garçons différents : le premier par amour, le second par nécessité, le troisième pour accepter une offre de sacrifice, parce qu’elle le trouvera touchant, ce garçon, qui la couve du regard depuis toujours. Elle finit « avec » lui, mais on ne sait pas si cet amour sans passion la débarrassera de la malédiction. La raison ne la sauvera pas forcément. On assiste finalement à l’évolution de la vie d’un couple, étalée sur trois garçons différents. Le sexe d’abord par amour, puis par nécessité/devoir, et enfin par habitude/raison, sans passion…
On découvrira dans le film que la jeune fille n’est pas prude, que nous n’avons pas assisté à sa première fois, la malédiction ne punit pas la perte de virginité, et ce n’est pas plus mal. Une sexualité somme toute assumée. Néanmoins, la créature prend parfois l’apparence d’un parent, ou pas.
Par ailleurs, pour se débarrasser du virus, deux des protagonistes semblent envisager les relations tarifées, ou carrément le gang-bang avec des inconnus sur un bateau. Mais nous ne saurons pas si le plan est mis en application, le cinéma étant l’art de l’ellipse, et la créature revenant à l’origine du mal. Le premier à transmettre le virus raconte l’avoir attrapé suite à un « coup d’un soir », mais il aura séduit sa victime pour le transmettre à son tour. Et il incitera la jeune fille à faire de même, ou à coucher avec le premier venu.
On ne sait donc pas ce que s’interdisent ces ados, s’ils préfèrent mettre en danger des proches, plutôt que de sacrifier des inconnus. Les ados ont-ils une conscience ? Le film ne répond pas.
Il pose clairement la question des IST. Je n’ai pas souvenir d’avoir vu une once de préservatif. Mais ça ne veut pas dire qu’ils n’en utilisent pas, même si le réalisateur s’esclaffe et répond « Vous n’avez pas tort » quand on lui dit « It Follows aurait pu être sponsorisé par une marque de préservatif, non ? ». It Follows montre que même entre hétérosexuels, sans forcément être des gueudin du uc, on peut se transmettre des saloperies.
Le côté moralisateur n’est jamais loin, mais il reste flou. Bien sûr, si l’auteur avait voulu être pédagogique, il aurait pu mettre l’accent sur l’absence de latex, mais rien n’est dit. Rien n’est clair. La malédiction peut frapper tout le monde. Et c’est en ça qu’il est salutaire, et qu’il fait oeuvre de prévention. Son message est-il lisible par ceux qui sont imperméables à des messages plus frontaux et normés ? Rien n’est moins sûr.
Pour finir, on me dit dans mon oreillette « C’est intéressant ce truc qu’on choppe par l’orgasme, finalement, et qui permet d’accéder à une certaine connaissance que d’autres n’ont pas. ». C’est pas faux, même si on ne sait pas non plus s’il y a orgasme ou plaisir. Plus le film avance, et moins la jeune fille s’épanouit dans le sexe puisqu’elle sait qu’elle met en danger son partenaire. Mais la connivence entre les personnages qui ont partagé l’intimité est palpable, et concrète, par la visibilité de la créature.
Au delà du fond, la forme. L’image, relativement terne, ne permet pas de déterminer à quelle saison on se trouve, peut-être est-ce l’été indien, devine-t-on aux tenues parfois légères ? Une photo naturelle, simple et belle, sans artifices ostentatoires. Et des trouvailles de toute beauté, comme ces volutes rouges envahissant le bleu d’une piscine… Il se dégage de tout cela une certaine mélancolie.
Et le son. Cette musique électronique, aux basses vrombissantes, qui montent, vous oppressent, font monter la tension, la soutiennent ou la travestissent.
On est face à une oeuvre d’une grande richesse : Au-delà de ces aspects esthétiques, naturalistes, métaphoriques et sociaux, la réussite du film tient aussi à son efficacité, à l’angoisse qui vous étreint, qui ne vous quitte pas un instant, cette attente d’événements qui ne viennent pas ou de la surprise lorsqu’ils surgissent. C’est là qu’on jubile devant ce film intelligent et beau : On a survécu à une tension insoutenable, et, exténué, on exulte d’avoir été ainsi transporté.