Avec Sincerely Future Pollution, Timber Timbre a décidé de se remettre en cause. Ayant eu l’impression d’avoir atteint un sommet avec Hot Dreams, leur album précédent Taylor Kirk a décidé de s’imposer un challenge pour trouver l’inspiration. Malgré une impressionnante bronchite, ce dernier a répondu à nos questions avec un flegme absolu. Il nous parle de son amour des bandes originales de films, de la difficulté de faire comprendre cette nouvelle direction aux autres membres du groupe et de ses envies de continuer à expérimenter.
Vous abordez ce nouveau disque à travers des sonorités différentes.
Saviez-vous dès la fin de l’enregistrement de Hot Dreams qui vous souhaitiez emprunter une nouvelle direction ?
Non, bien plus tard. Quand j’ai commencé à réfléchir à ce qui allait devenir Sincerely Future Pollution j’ai réalisé à quel point j’avais comblé une grande partie de mes attentes artistiques avec Hot Dreams. Autant en matière de style que de son. Je me suis senti coincé. Puis l’envie de réaliser un disque sur lequel on pourrait presque danser m’est venue. L’idée d’utiliser une nouvelle palette sonore et de nouveaux instruments était séduisante. Si Hot Dreams représente l’apothéose de ce que j’ai toujours voulu accomplir, Sincerely Future Pollution en est l’opposé. Je n’ai jamais porté beaucoup d’intérêt à la musique synthétique. J’avais besoin d’un challenge.
Le contraste entre une rythmique très chaleureuse et des synthés glaciaux fonctionne à merveille.
Trouver cet équilibre a t-il été difficile ?
Nous y avons passé un temps fou. J’ai commencé à travailler seul, avec des synthés pourris que tu trouves en grande surface. Puis nous avons travaillé en groupe. Les autres membres du groupe ont une approche des synthés beaucoup plus professionnelle que la mienne. Pourtant, pour une simple raison, ils ont dû bousculer leurs acquis. Nous faisions référence à un style de musique qui ne nous était pas familier. Trouver notre nouveau son n’a pas été des plus simples.
Pour faciliter cette tâche, vous êtes vous plongé massivement dans la discographie de certains groupes ?
J’avais déjà en tête quelques références qui allaient influencer notre travail. Des groupes comme New Order et Depeche Mode. Pourtant j’ai envoyé aux autres membres des titres de Prince, Phil Collins, David Bowie, Tears For Fears ou Talk Talk pour leur expliquer mes objectifs. Ils n’ont pas compris où je voulais en venir. Pour eux je remettais en cause ce qu’était fondamentalement Timber Timbre. Il leur a fallu du temps pour accepter de bousculer leurs habitudes. C’est Simon, notre guitariste qui a été le plus réfractaire. Mais je n’ai pas trop envie d’aborder ce sujet.
Beaucoup vont trouver un côté cinématographique à ce disque.
Es-tu un amateur de bandes originales ?
J’écoute beaucoup de musiques de films. C’est une obsession. Mais ce n’était pas une influence. Pour ce projet spécifique, nous avons mis un accent sur l’atmosphère, l’humeur, l’environnement. Au final, je comprends l’association, mais à aucun moment nous avons eu le cinéma en tête.
J’étais pourtant persuadé que vous aviez John Carpenter en tête.
Pour ses films aussi bien que pour ses B.O.
C’est une excellente référence. J’ai découvert récemment en regardant un documentaire sur lui qu’il réalisait ses musiques de films tout seul. Je me suis précipité chez mon disquaire pour acheter quelques albums de lui. J’ai fait le rapprochement immédiatement avec Sincerely Future Pollution. Sa musique est très abrasive. Quand tu connais ses films il est difficile de la faire exister par elle même. Elle est tellement associée à un style cinématographique bien précis. J’adore ce type.
Tu as d’ailleurs effectué des études de cinéma.
Oui j’ai étudié le cinéma avec l’objectif d’en faire une carrière. Jusqu’à ce que je réalise que je prenais plus de plaisir à en composer la bande originale de mes projets. A un moment j’ai même pensé que le seul moyen de gagner ma vie serait de composer des musiques de films. Du temps s’est écoulé et j’ai fondé Timber Timbre. Une fois que l’on a commencé à se faire connaître, on m’a proposé de composer de la musique pour le cinéma. C’est incroyable, non ? (léger sourire). On ne réalise pas à quel point c’est un exercice difficile de trouver un vocabulaire commun avec le réalisateur et ses envies. Nous avons eu des degrés de réussite très variés en la matière. Certaines tentatives se sont avérées désastreuses.
Vous avez fini par changer vos méthodes de travail pour arriver à trouver ce nouveau son. Tu as laissé une plus grande liberté aux autres musiciens.
Pourrais-tu nous dire dans quelle ambiance s’est déroulé l’enregistrement ?
Cela n’a pas été facile pour moi. Je suis un control freak qui s’implique à tous les niveaux du processus créatif. Pour la première fois j’ai lâché du leste. Quand je réécoute l’album je m’aperçois que je n’ai pratiquement pas joué d’instruments. Je ne sens tout simplement pas ma présence car je me suis plus occupé de l’aspect production. Pourtant je trouve le résultat bien supérieur. Je suis un musicien médiocre. C’est une meilleure idée de ne pas me laisser jouer tous les instruments et d’ajouter des couches inutiles.
2016 a été une année sombre au niveau mondial politiquement. Des figures marquantes du monde du rock et de la pop nous ont quittées. Nous avons vraiment l’impression d’arriver à la fin d’une époque.
En quoi ces événements ont-ils influencé l’album ?
Musicalement, j’ai toujours eu l’impression que je suis né trop tard. Je suis passé à côté de trop d’artistes. Je ne cherche pas à dévaluer tout ce qui s’est fait depuis ma naissance, mais la musique est marquée par les époques. Elle est créée dans un contexte spécifique. Les pionniers qui ont posé les bases de ce qu’est la musique d’aujourd’hui nous quittent petit à petit. Ils disparaissent au moment où tout bouge très vite musicalement. On consomme plus qu’on écoute. Il y avait quelque chose de très profond dans l’art de Bowie, Prince et Cohen. J’ai été secoué par leur disparition. Vivre dans un monde où le type d’idées qu’ils généraient ne va plus exister m’effraie. Ce malaise que j’ai ressenti a été accompagné par des désastres politiques majeurs. Je n’ai pas directement cherché à faire ressortir ces événements dans l’album. Ils ont cependant brisé la petite bulle innocente dans laquelle je vivais. Et ça s’entend sur Sincerely Future Pollution.
La pochette du disque s’inscrit dans la lignée des précédentes, en noir et blanc. A la différence près que cette fois-ci le cadre est urbain.
Était-ce pour créer un parallèle entre le côté chaotique que tu as cherché à reproduire dans tes chansons et celui de la ville ?
Je voulais une continuité tout en exprimant des sensations différentes. La pochette de Hot Dreams avait un côté idyllique et serein. Sincerely Future Pollution est claustrophobique, glacial, sale et urbain. Avec en fond la pensée qu’internet domine la vie des gens.
Sincerely, Future Pollution est sans doute votre album le plus varié au niveau des ambiances. Vous semblez avoir expérimenté plus qu’à l’habitude, ayant travaillé pour la première fois sur les arrangements à trois.
Comment s’est passée cette expérience ?
Rien sur ce disque n’a été créé de façon directe et évidente. Nous avons énormément expérimenté. Bizarrement, l’enregistrement ne nous a pas demandé plus de temps que d’habitude. Chaque piste possible a été testée méthodiquement. Il n’y a pas eu de jam pendant laquelle on s’assoit pour jouer ensemble et voir ce qu’il en sort. On passait plutôt du temps à créer des sons, des atmosphères. Il en ressortira toujours des variations. Mon but était que ce disque soit aussi cohérent que le précédent.
Tu utilises un vocoder sur Bleu Nuit et Moment.
Pourrais-tu imaginer un jour, comme l’a fait Lambchop récemment enregistrer un album où ta voix serait filtrée par de l’auto tune pour créer une atmosphère différente ?
J’adorerais. Pour tout te dire nous étions à deux doigts de le faire. L’album partait dans deux extrêmes et nous avons finalement opté pour une approche entre les deux. Les chansons ont un côté rêche. J’aurais été curieux d’entendre le résultat final avec ma voix rendue méconnaissable. J’aimerais pousser le bouchon encore plus loin et enregistrer un disque instrumental. La liberté de travailler sur des titres non identifiés par ma voix ouvrirait de nouvelles pistes. Et j’ai de plus en plus envie de liberté.
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Crédit photo : Caroline Desilet