[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]ujourd’hui n’est pas coutume, je vais vous parler de musique traditionnelle. Je veux rassurer le lecteur habituel des chroniques musicales d’Addict Culture, je n’ai pas succombé cet été à la folie des fest noz. Point de biniou ou bombarde à brandir malgré mon chauvinisme armoricain bien connu par ma hiérarchie nantaise en quête de ralliement à la blanche hermine. D’en déduire que d’un point de vue marketing l’apposition du gwenn ha du à ma bafouille serait très vendeuse, il y a un pas que je ne voudrais point franchir.
En fait, avec un peu plus d’exotisme je vais vous embarquer du côté de l’Asie et plus précisément la Corée du Sud. La dernière fois que le pays s’est illustré en termes de mélodie, c’était avec le trop encombrant tube Gangnam Style qui résonne encore en mode acouphène dans les oreilles de ceux qui auront osé la curiosité folklorique.
Avec Jambinai 잠비나이 la musique se veut pittoresque mais pas arriérée. Les fondations ancestrales sont étayées par un support moderne que l’on pourrait qualifier de post-rock. Un mélange étonnant où se mélange les structures du genre marquées d’effets qui bourdonnent et la présence insolite pour nous, occidentaux, d’instruments venus de latitudes lointaines et dont je me permets une succincte présentation :
- Le haegeum est composé d’une caisse de résonance dans laquelle deux cordes s’insèrent dans un morceau du bambou. La main droite joue sur les cordes avec un archet. La main gauche pince les cordes pour varier le son de l’instrument.
- Le geomungo que l’on peut traduire par « instrument noir » est constitué d’une caisse de résonance en bois de paulownia et de châtaignier sur laquelle sont tendues 6 cordes en soie. Il peut être joué avec un suldae (une baguette en bambou) en plus des doigts de la main droite.
- Le piri est un instrument à vent comportant une anche double à perce cylindrique utilisé à la fois dans la musique de cour, la musique religieuse et la musique populaire. Son timbre nasillard dégage une certaine mélancolie qui en fait un atout des plus expressifs.
Source : blog des étudiants du département français de l’université nationale de Chungbuk http://atelier.de.francais.over-blog.com/
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]a parenthèse d’instruction culturelle étant close, il me reste à vous présenter le groupe. Les membres d’origine sont Il-woo, Kim Bo-mi et Shim Eunyoung. Après un EP réalisé en 2010 puis un premier album aux contours expérimentaux intitulé Differance (distribué uniquement en Corée en 2012) Jambinai tape dans l’œil du label Bella Union réputé pour détenir un catalogue plein d’audace. De cette collaboration laissant poindre des objectifs plus marqués va naitre l’album A Hermitage pour lequel le trio d’origine se voit accompagné d’un batteur chargé de dynamité une rythmique déjà bien corpulente.
J’entends déjà des voix qui s’élèvent pour me questionner quant à l’origine de ma nouvelle « fixette ».
Il suffit de relire le compte rendu de mon éminent collègue dépêché pour couvrir cette année l’édition du dantesque Hellfest. Voici ce que notre expert ORL retenait de leur prestation en terres clissonnaises :
(…) Le hasard est un grand malin et fera de Jambinai la plus grande claque de ce premier jour dans la catégorie découverte. Une petite description s’impose ma foi : Jambinai est un quintette, réparti de façon équitable, à savoir : les femmes jouent des instruments traditionnels, les hommes, ceux un peu plus virils (guitare/basse/batterie). Sauf que l’instrument utilisé par la dame de droite, celui qui donnera le tempo à la plupart des morceaux, possède une présence très imposante et semble demander bien plus d’énergie que le gars derrière ses fûts.
Le groupe joue donc une sorte de post metal instrumental tout en tension, combinant montée ascensionnelle et explosion de rage, groove et accalmie. Ça vous scotche littéralement dès les premières mesures, c’est détonant, surprenant et rappellerait un peu ce que pourrait faire Sigur Rós s’ils avaient encore un tant soit peu d’inspiration. De plus le groupe n’est pas en reste, semble habité par sa musique et transmet son énergie au public qui lui fera un véritable triomphe en retour. Impressionnant et énorme (…)
(Le reste du live report est à lire ICI)
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]utant vous dire qu’au niveau du descriptif, mon compère de jeu aura vu juste. Jambinai ça cogne par déflagrations multiples. Nous sommes en présence d’une nouvelle sensation XXL qui germe d’un décrochage extrême où les cris de l’entame Wardrobe répondent à la folle rythmique teintée de vapeurs grinçantes.
Le second titre de l’opus est tout aussi furieux. Je vous laisse imaginer des roulements à faire passer les canadiens de Godspeed You ! Black Emperor pour des enfants de chœurs. Echo of Creation affirme une fougue pincée qui progressivement s’estompe pour laisser s’exprimer l’histoire d’un autre monde. L’auditeur pourrait alors se laisser hypnotiser, trimbalé sur une barque en mer Jaune ou tout du moins sur les rives d’un fleuve zen. Saisissant contraste dont le dessein et de mieux nous happer avec le retour progressif des saturations assassines.
Jambinai aura fait le tour Bretagne (oui finalement j’y reviens) : des Transmusicales habituelles dénicheuses de talents, au festival Art Rock pour un live en catimini dont on m’aura conté le plus grand bien, en passant par les fameuses Vieilles Charrues… Bref, je n’avais aucune excuse pour les manquer. Et pourtant, la frustration s’est emparée de moi car c’est en live que j’imagine crépiter les sanglots, les hurlements de ces artistes armés de nostalgie tapageuse. Des coréens qui auront eu le toupet de métisser les dogmes d’une confrérie post-rock tournant parfois un peu sur elle-même. Les accents de Jambinai sont circonflexes et sans aucune concession quant à la tonalité du propos. La preuve indéboulonnable est sans conteste dans les entrailles du récitatif clamé d’Abyss le bien nommé.
Accélération de l’attractivité terrestre dans les lacets larmoyants de The Mountain. Il y a une fantastique contemplation du paysage. L’immensité du panorama qui donne le vertige. Il s’agit d’une beauté abrupte, sauvage… La pièce maitresse de l’œuvre se gonfle de strates successives telles un boléro métallique. Le souffle immense électrise notre ouïe dans une détonation fulgurante qui propulse nos cœurs serrés au-delà des cimes.
Avec Naburak c’est la frénésie acoustique qui est mise en relief. La folie devient contagieuse. Il n’y a plus de retenu de ce bain de sens qui à l’outrecuidance de sublimer le tumulte d’une onde délicate totalement déroutante. La caresse que l’on reçoit juste après avoir dégusté une terrible baffe dans les narines. Il est dans cette subtilité le plaisir sadique d’écoute de l’album car il fout totalement le bordel avec les codes, s’autorise des nervosités insensées, balance les clichés aux ordures et, par la même occasion ceux qui voudraient analyser ce bouillon comme une ode démesurée et criarde.
Dire que la production n’est pas dérangeante serait pure foutaise mais justement, se sentir aussi remué par un disque est si rare de nos jours que je me devais en clamer tout le mérite.
L’estocade se fera dans les nervures de They Keep Silence. Dans la lignée du reste, j’y perçois la force ultra noisy dans laquelle vient se nicher un chant maladif, comme bâillonné par un entourage oppressant. C’est tout bonnement infernal, percutant, inhumain, saugrenu, épicé et jouissif à la fois. Bref, une bonne claque dans la face ! On aimerait que ce soit celle du voisin nordiste Kim Jong-un.
A Hermitage est paru le 17 Juin 2016. Il est disponible dans toutes les bonnes boutiques et à l’écoute ici-même: