[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#65b738″]V[/mks_dropcap]oici un ouvrage particulièrement bienvenu pour parler du sexisme aux jeunes filles, et ce dès l’école primaire ! La thérapeute Emmanuelle Piquet, adepte de l’Ecole Palo Alto et fondatrice des centres Chagrin Scolaire qui aident les enfants et adolescent.e.s victimes de harcèlement, s’adresse aux filles avec une volonté de bienveillance et d’efficacité « afin qu’elles ne souffrent plus d’être filles, qu’elles n’acceptent plus les obligations à être ce qu’elles ne veulent pas être ou les situations qui les infériorisent ou les malmènent ». Pour ce faire, des outils existent pour se sentir plus forte et se libérer des modèles que l’on traîne comme des boulets depuis la nuit des temps. 14 récits de filles de 11 à 15 ans, qu’Emmanuelle Piquet a reçues dans son cabinet, nous font réfléchir au sexisme, quelquefois flagrant et très souvent intériorisé, véhiculé par les hommes et les femmes. Une prise de conscience salutaire pour les jeunes filles et tous les adultes qui les entourent. C’est juste, un peu décapant, souvent drôle (la stratégie de défense-attaque du 180 degrés bouscule et est plutôt jouissive) et les illustrations de Lisa Mandel (la fameuse auteure de Nini Patalo, Super Rainbow mais aussi La Jungle de Calais et HP) servent bien le propos !
Qu’est-ce que la « stratégie du 180 degrés » ? Emmanuelle Piquet en est convaincue : pour sortir de son rôle de victime, il faut savoir ébranler son harceleur.euse. Non pas s’en prendre à lui.elle en tant que personne, mais à sa popularité et le.la destituer de son piédestal de personnalité-modèle ; le.la surprendre en adoptant une attitude qu’il.elle n’aurait même pas imaginé ! Bref, lui faire prendre conscience que le pouvoir peut changer de camp :
« Souvent, ce qu’on met en place pour tenter de résoudre un problème non seulement ne le résout pas, mais en plus l’aggrave. C’est vrai pour la plupart des problèmes qui semblent insolubles : on fait généralement de plus en plus la même chose, comme un hamster qui tourne dans sa roue. On s’épuise et rien ne change (…) Je vais te montrer que pour arrêter les méthodes qui ne fonctionnent pas, le mieux est de faire carrément l’inverse, c’est-à-dire de prendre un virage à 180 degrés ».
Elle aide ses jeunes patientes à trouver leurs propres outils, des parades qui les aideront à se faire respecter et cela passe souvent par la parole avec des réparties qui fusent, de véritables « flèches de résistance » pour se défendre contre les autres et aussi contre soi-même. Et il faut en décocher des flèches quand on est une fille : qui ne s’est pas déjà faite taxer de grosse, de fille à problèmes, de fille à potins, de fille facile et, pire que tout, de garçon manqué !
Chaque témoignage adopte la même structure : le récit du harcèlement ; la partie interactive « à toi de jouer » (quel est ton avis à toi lecteur.trice ? qu’aurait-il fallu dire, ou faire ? quelle stratégie adopter ?) ; le « conseil de psy » d’Emmanuelle Piquet ; et le retour d’expérience montrant si la théorie du 180 degrés a bien fonctionné.
L’ouvrage est concret, pragmatique. Il y a de nombreux exemples tirés du quotidien et une réflexion bienvenue, toujours accessible aux plus jeunes, sur les attitudes et les mots qui blessent.
On peut bien sûr émettre un doute sur l’art de retourner une situation à son avantage. Comme me l’a fait remarquer ma fille de 11 ans, pas évident de trouver la réplique qui tue et de s’improviser reine de la tchatche ; « on n’est pas dans un monde de bisounours ! »
C’est vrai mais rien que le fait d’élaborer une stratégie de déstabilisation, de « boomerang verbal » avec ses propres outils, ses propres forces, peut s’avérer salutaire. Prendre conscience que son.sa « bourreau » peut être ridiculisé.e à son tour peut faire du bien. Un exemple :
« H : T’es trop belle, mademoiselle.
F : …
H : Tu pourrais au moins dire merci.
F : Pourquoi ? T’y es pour quelque chose ? »
Aider les jeunes filles à trouver la bonne distance, utiliser volontiers l’humour pour reprendre confiance en soi, tel est le message très bénéfique véhiculé par cet ouvrage. Ma fille s’y est retrouvée, à plusieurs reprises, et on a pu amorcer des discussions. Certains témoignages sont très durs cependant et montrent à quel point la violence infligée aux filles peut être grande : les « flèches de résistance » sont à chercher alors autre part que dans l’autodérision et le ridicule, et la parole y est plus que jamais essentielle. Elle doit être stimulée à tout prix pour que les victimes puissent prendre leur place dans le monde.
Je recommande donc bien volontiers ce livre, qui est à mettre entre toutes les mains : filles, garçons, pères, mères, sœurs, frères, grands-pères, grands-mères, enseignant.e.s…tous et toutes, nous avons un rôle à jouer dans la libération et le bien-être des filles !
Pour en savoir plus sur les centres Chagrin Scolaire et A 180 degrés, voici leur site.
Et également aux éditions Albin Michel jeunesse, le précédent ouvrage du tandem Emmanuelle Piquet-Lisa Mandel Je me défends du harcèlement (2016).
Je me défends du sexisme d’Emmanuelle Piquet et illustré par Lisa Mandel
Editions Albin Michel jeunesse, mars 2018