[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#d63173″]J[/mks_dropcap]e ne sais pas où vous étiez en 2012. Peut-être à fêter, en mode fines bulles, le jubilé de diamant d’Elisabeth II ou à vous la coller farniente aux îles Caïman, l’hyper plan lorsqu’on a grugé l’administration fiscale, mais aux antipodes d’un désir de se farcir autre chose que du downtempo dans le casque.
En tous les cas, je suppose que vous avez lamentablement loupé la sortie du premier brouillon homonyme déversé par Jessica93. Quatre titres avoisinants chacun la dizaine de minutes. Nous étions déjà dans un esprit sans look et sans vague, mais surtout dans une forme de confidentialité brillamment assourdissante. Pour ma part, je couvrais le SummerCure , je peux donc vous présenter un mot d’excuse si nécessaire.
Quelques mois plus tard, nous étions quelques âmes se pâmant à l’écoute du sensationnel Away, titre qui convoquait autant les froideurs du boys band d’Andrew Eldritch (le chant d’outre-tombe en moins / la filiation syncopée de Doktor Avalanche en plus) qu’un bourdonnement débarqué du port de Seattle en plein fourmillement 90’s. Who Cares faisait office de premier véritable CV.
Geoffroy Laporte, une espèce de Rémy Bricka des catacombes, jonglait avec ses pédales et récidivait dans la foulée avec Rise, second LP enfonçant un clou rouillé dans des huisseries posées sur le papier par mon éminent confrère Jism qui, à l’époque, nous présentait la bestiole de la manière suivante : Rise (…) travaille l’auditeur au corps, l’assène de coups sur les flancs, vise l’estomac, le plexus jusqu’à lui faire baisser la garde puis finit par le mettre KO (tout l’article est à lire ou relire en cliquant ici).
Les ingrédients sont sur la planche, fin prêts pour se faire hacher : une guitare saturée, des boucles infinies, un son pornographique déterrant les racines profondes du post-punk le plus animal.
Une recette qui squatte nos esgourdes à l’aide de multiples picotements et de souvenirs d’une époque émue où notre endurance à de telles déflagrations était bien plus vive.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#d63173″]E[/mks_dropcap]n ce mois de Novembre 2017, une troisième promesse nous tend les bras. C’est tout d’abord un clip co-réalisé avec David Snug qui sera démasqué pour les nécessités d’un teaser un poil potache. Il y est question de l’icône Kurt Cobain, mêlé à une hallucinante thèse prophétique. Le titre pléonastique R.I.P In Peace fera mouche avec son amorce sans aucune caresse préliminaire. La rythmique répétitive convie les adeptes du vacarme sombre pour un nouveau festin.
Vous allez me dire, rien de neuf sous la lune et vous aurez fichtrement raison. Pour autant, Guilty Species voit son punk brulant s’empiler de nouveaux hôtes. Si le sieur Geoff Laporte est toujours planqué derrière le traficotage des éléments, l’intéressé est dorénavant accompagné pour les besoins de la scène par trois compères.
David Snug (encore lui) se charge de la drum machine, Henri Adam fait résonner la basse et Éric Bricka (patronyme déjà évoqué ci-dessus) complète le quatuor à l’aide de sa gratte. Exit donc l’aventure solo et bonjour l’amplification de la matrice.
La puissance se caractérise par un encéphalogramme métronomique baigné d’ondes lourdes et clinquantes. Il n’y a plus les quelques retenues des précédentes productions. La trame est franche du collier et non étirée dans un marasme hypnotique déployé à l’infini. La basse semble folle, l’attraction des riffs accrocheurs de Mental Institution clignote comme les textures des toutes premières odes cradingues distillées par les confrères britanniques d’Interpol. Pour la référence artistique, j’aurais pu évoquer les frissons de Bra K-C, étonnant projet solitaire qui assurait habilement les premières parties des fameux November 12. En matière de rock ombragé, je n’ai jamais connu plus underground.
Les convives ne seront plus seulement priés de frôler les flammes mais de cramer littéralement au cœur du réacteur inflammable. Le plongeon est plus immédiat dans cette tactique destinée à nous asséner un bataillon d’acouphènes.
À ce titre, Anti Cafard 2000 fait l’étalage de larsens immenses, gorgés de radicalité outrageante. Le leitmotiv est assassin malgré quelques procédés de genre télécommandés. Au rayon du racolage actif, le tapage nettement gonflé aux hormones explose tel un hymne pour nightclub déjanté. Il n’y a plus de brides, plus de muselières, les sangliers sont lâchés.
Un claquement criard qui rejoint quelque peu l’évocation d’une pochette au rose soutenu qui n’est pas sans rappeler le flou du mythique Loveless de My Bloody Valentine. Jessica93 ajoutant au visuel, les aspects ragoutants d’un sourire percé.
Sur les volutes orientales de French Bashing, j’entends le métal qui crache des enceintes. Une sorte d’insecticide venant exterminer tout projet illusoire de retour au bercail. Les noirceurs fracassantes exultent sans discontinuer dans une rengaine qui clame « Here I’m coming ».
Bed Bugs sort un peu du lot grâce à son introduction plus marécageuse ou encore ses effets déformants qui nous mènent progressivement vers des cris éraillés, emprunts de douleurs âpres. Pour le coup, la filiation anti-chronologique avec les ombres du passé est une forme de flux laissant entrevoir quelques aspérités plus accentuées.
En bref, Guilty Species exprime un saisissement, une rage déconcertante. Sans glisser vers des abords hautement malsains, c’est le recueil d’une bouffée continue de raffuts dont nul ne ressortira indemne. De ce cataclysme sonore pourtant érigé sur des fondations conventionnelles, il faudra cueillir les saccades ressassées comme les grincements maladifs. Une gabelle obligée si l’on aspire à soigner notre peur du vide. Avec cet exutoire imposant, cet enchevêtrement torturé mais d’une cohérence sans faille, les décibels terriblement salvateurs sortiront gagnants de cette transe aux allures poisseuses.
Mon verdict ? L’acquittement !
Guilty Species de Jessica93
Sortie le 3 Novembre 2017 chez Teenage Menopause / Music Fear Satan