[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#00ccff » txt_color= »#000000″]K[/mks_dropcap]evin Morby sort City Music (dont Beachboy vous parlait il y a quelques jours), quatrième album sous inspiration New-Yorkaise. Composé au même moment que son disque précédent, Singing Saw il s’en démarque dans le ton et le son, plus durs. L’américain nous a reçu dans le salon d’un hôtel parisien, à peine sorti de l’Eurostar. Il nous parle de son lien fort avec la scène artistique des villes qu’ils traverse, du l’envie qu’il avait de faire sonner City Music comme une mixtape enregistrée live, mais aussi d’une des ses passions : le hip hop.
Ce disque est une sorte de déclaration d’amour à la ville. Quelles sont celles qui t’ont le plus marqué et inspiré ? Pour quelles raisons ?
Cet album est très inspiré par New York, une ville dans laquelle j’ai longtemps habité. Je vivais à Los Angeles quand j’ai composé mon disque précédent, Singing Saw. Il s’inspirait largement de l’ambiance de cette ville. Je me suis lancé le défi d’écrire un deuxième album, cette fois avec New York en thème central. Si l’objectif est le même, City Music sonne différemment car les deux villes ne sont pas comparables.
Nous nous trouvons aujourd’hui à Paris. Quel rapport entretiens-tu avec cette ville. A t-elle été une source d’inspiration pour certains titres de tes albums ?
Paris est une des plus belles villes qui existent. Elle m’inspire. Lors de ma dernière venue, je me suis retrouvé à composer quelques titres dans ma chambre d’hôtel. J’aime que l’on sente le poids de l’âge des villes. Aux Etats-Unis, un quartier pourri est déprimant. Ici même le quartier le plus minable me paraît attractif (rire). Mais mon rapport à Paris est peut-être biaisé. Les Parisiens comprennent ma musique. Je m’y sens aimé. Comment ne pas tomber sous le charme.
Certains disques ou artistes sont vraiment identifiés à des villes. Je pense au Velvet Underground et à Luna avec New York par exemple. Quels sont pour toi les disques inspirés par des villes qui t’ont le plus marqué.
(Sans même prendre le temps de réfléchir) Principalement Tranformer de Lou Reed, Bringing all Back Home de Bob Dylan, Chelsea Girls de Nico, Sulk and Soul de Nina Simone, Los Angeles de X. J’aime qu’ils soient représentatifs d’une ville à un instant “T”. J’ai écouté ces disques dans les villes qu’elles décrivent. Même si du temps s’est écoulé, les écouter dans ce cadre précis transcende encore plus ces classiques. Quand je suis en tournée, j’essaie toujours d’écouter de la musique liée à la ville où je me trouve. C’est un moyen de me donner un contexte pour apprécier au mieux l’endroit. À Minneapolis par exemple, tu peux être certain que je vais écouter Prince ou les Replacements.
Que pense-tu du Hip Hop et du Rnb moderne, les styles de musique populaire les plus urbains qui soit aujourd’hui. En écoutes-tu ?
Ce sont des styles fascinants. J’irai même jusqu’à dire que c’est le nouveau Rock’n Roll. Kendrick Lamar est le porte parole de cette génération. Il a su innover et apporter quelque chose de neuf comme peu d’artistes l’ont fait dans l’histoire de la musique. J’aime la stylistique, les productions à couper le souffle. Bon, après, je ne pense pas que je sortirai un disque de Hip Hop, mais j’en écoute énormément (rire).
On retrouve d’ailleurs pendant un court passage un son légèrement Rnb dans le titre Come to me Now.
C’est une référence aux productions de Kanye West. Nous parlions de son travail dans le studio d’enregistrement. On se demandait comment il arrivait à créer des sons jamais entendus auparavant. Ça nous a poussés à expérimenter avec un sampler et un synthé. Je suis content que tu ais remarqué ce détail.
Au regard de la thématique abordée, je m’attendais à un ton plus dur musicalement. Pourquoi ne pas avoir joué le jeu au maximum ?
De mon point de vue, City Music est mon album qui sonne le plus agressif. Il n’y a que deux titres joués à la guitare acoustique. Dans mon esprit les chansons et ma voix sont plus sales et courageuses de ma carrière. Je comprends ta remarque, mais je n’ai pas voulu aller trop loin pour ne pas m’éloigner du style de musique que j’aime jouer. Comme pour le Hip Hop, il n’y a aucune chance que je forme un groupe de métal un jour (rire).
Je pense aussi à 1234, morceau hommage aux Ramones qui est un titre plus speed que ce à quoi tu nous as habitué. Il reste cependant beaucoup moins énervé qu’un titre des Ramones. Pourrais-tu nous parler de ce titre ?
J’ai voulu leur rendre hommage. Ce sont des héros. Un des groupes les plus admirables ayant existé. Citer leur nom et emprunter un extrait de leurs paroles pour une de mes chansons me rends fier. Leurs rimes ont un côté enfantin qui contraste avec leur musique. Dire qu’aucun des membres originaux n’est vivant aujourd’hui…
Tu compares City Music à une mixtape. Est-ce parce que tu as enregistré une collection de chansons qui te plaisait à un instant précis en cherchant à garder une spontanéité ?
Quand j’étais gamin, on enregistrait des mixtapes entre amis. Chacune avait un thème. Je me souviens de l’une d’entre elles qui s’appelait “Rouge”. Chaque titre devait contenir ce mot. Peu importe le style. On y retrouvait du jazz, du punk, de la pop etc. J’ai voulu m’inspirer de cet esprit. Le thème étant la ville, chaque titre devait aborder ce sujet et citer le mot “ville”. J’espère que l’on ressentira à l’écoute que j’ai essayé de créer une mixtape.
Ces nouvelles chansons vont à l’essentiel. On sent que tu as acquis une certaine sérénité. Au regard de l’excellente réception publique et critique de tes albums, penses-tu avoir acquis une certaine confiance, ou bien es-tu quelqu’un constamment en doute ?
Je ressens toujours des doutes quelques semaines avant la sortie d’un album. Je vais parfois jusqu’à penser que j’ai commis une erreur en enregistrant certains morceaux. Le pire était au moment de la sortie de Singing Saw. Je venais de signer pour un plus gros label et je savais que je risquais gros sur ce coup là. Tout s’est bien passé, et ça m’a donné plus de confiance en moi. J’ai moins peur de tenter des choses différentes, comme l’idée du thème et de la mixtape. J’ai fini par penser que je ne connaîtrai jamais de gros échec si je réalise exactement ce que j’ai en tête, avec mes propres règles.
Enchaîner deux albums en si peu de temps se fait rare de nos jours. Pourquoi cette décision ?
Les deux ayant été composés au même moment, en 2015, je trouvais cohérent de les publier sans trop attendre. En composant, il m’est apparu clairement que deux projets se créaient en parallèle. Des chansons sucrées qui sont devenues Singing Saw et d’autres, plutôt salées, y figurent sur City Music. J’avais conscience d’écrire deux albums en simultané.
Qu’en a pensé ton label ?
Ils étaient réticents quand je leur ai parlé de mon idée. Mais, à l’écoute des titres, ils se sont montrés plus enthousiastes. De toute façon, les maisons de disques préfèrent savoir que leurs artistes ont un bon stock de chansons plutôt que de devoir leur mettre la pression pour composer (rire).
Dans quelles conditions ces titres ont-ils été enregistrés ? A l’écoute de l’album, on a vraiment l’impression de se trouver au milieu d’une pièce avec le groupe.
Contrairement à Singing Saw qui avait été enregistré à deux, j’ai voulu enregistrer City Music avec le groupe qui m’accompagne en concert. Nous venions de terminer une tournée européenne et nous sommes entrés directement en studio pour ne pas perdre notre complicité. Je voulais que le disque sonne comme un concert. Tout a été enregistré en trois prises maximum. Richard Swift (Foxygen, Sharon Van Etten), notre producteur, a ensuite ajouté quelques légères modifications.
Sur Dry Your Eyes, tu as enregistré à l’ancienne, ta voix sortant sur l’enceinte droite et la musique sur la gauche. Pourquoi cette décision, et pourquoi ne l’avoir fait que sur un seul titre ?
C’est le seul morceau qui a été enregistré à deux, avec Richard Swift. Il faut le prendre comme un hommage aux disques de John Lennon ou de Lou Reed. Tu y trouves parfois sur leurs albums un titre étrange qui se démarque des autres. Un morceau qui donne souvent l’impression d’avoir été enregistré à la va vite dans une chambre. Nous avons essayé de reproduire ce schéma. C’est la chanson inattendue de l’album.
Tu as enregistré City Music en Californie, dans un studio avec vue sur la mer. Pourquoi cette décision ? Ne voulais-tu pas rester dans un cadre plus urbain pour coller à ton sujet ?
J’aime travailler dans des conditions opposées au sujet que je traite. J’en ai besoin pour éviter les distractions et ne pas finir trop absorbé. C’est mieux pour me concentrer sur mon sujet. Et puis se retrouver au bord de la mer après une longue tournée n’était pas désagréable. C’est un super endroit dans lequel d’excellents albums de White Fence et Devendra Banhart ont été enregistrés.
Pourrais tu nous parler de Flannery, cet extrait d’un livre de Flannery O’Connor, A Proper Scaring qui est lu par une femme. Pourquoi cet interlude et pourquoi ce passage du livre ?
J’ai lu ce livre au moment où l’idée d’un album tournant autour de la ville commençait à mûrir dans mon esprit. Le passage que tu entends sur l’album résumait à la perfection ce vers quoi je voulais tendre. Décrire la ville comme une entité intimidante, effrayante, avec une grande énergie. Flannery est décédée depuis un moment. Cela a demandé du temps pour obtenir l’autorisation. C’est Meg Beard, une amie chanteuse qui lit le passage. J’aime le dynamisme de sa voix. Ça change de la mienne ! (rire).
Retrouvez la chronique de l’album ici.
Crédits photo : Michela Cuccagna
Merci à Agnieska Gerard
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